L'Orient à feu et à sang
pieds – tout comme ceux de Mariadès.
« Ceux qui se sacrifient » faisaient mentir leur nom. Plus loin dans la plaine, les soldats distancés semblaient s’être arrêtés. Ballista regarda un cavalier à la tenue chamarrée presser et harceler les Géorgiens. Bagoas confirma qu’il s’agissait de Hamazasp, leur roi. Il avait perdu son fils au début du siège et avait plus de raisons que d’autres de vouloir se venger.
Ballista vit alors quelque chose qu’il n’avait jamais vu sur un champ de bataille. Une ligne d’hommes se déploya derrière les Géorgiens. Ils brandissaient des fouets. Un guerrier fit mine de s’enfuir et on le flagella jusqu’à ce qu’il revînt dans le rang. Ballista regarda les autres groupes de soldats. Derrière chacun d’entre eux, même ceux de l’avant, et même derrière les Immortels, se tenait une rangée d’hommes maniant le fouet. Ballista se sentit pousser des ailes. Il sourit.
Subitement, les guerriers d’Ardashir, roi d’Adiabène, jetèrent leurs mantelets sur le côté et se ruèrent à l’assaut des murs. Ballista en rit de joie. Ce n’était pas une charge inspirée par le courage ou même la bravade, mais par la peur. Harcelés, aiguillonnés au-delà du supportable, les guerriers d’Ardashir voulaient juste en finir d’une manière ou d’une autre. Abandonnant tout semblant d’ordre, renonçant même à leur propre protection, ils se précipitaient vers la muraille dans une fuite en avant effrénée.
Aussitôt, les projectiles des défenseurs convergèrent sur eux. Courbés en avant, trébuchant sous le poids des échelles de sièges, les Sassanides couraient sous une pluie de fer et de bronze. Les hommes tombaient ; on lâchait les échelles ; d’autres hommes tombaient sous les flèches.
Les trois premières échelles atteignirent la muraille. Elles rebondirent contre le parapet. Une simple fourche de paysan en poussa une sur le côté. Elle tomba, des hommes sautèrent à terre. Un chaudron de bronze apparut au-dessus de la deuxième échelle et le sable chauffé à blanc fut déversé sur les soldats qui ne s’étaient pas écartés assez vite. Les guerriers au pied de la troisième échelle s’entre-regardèrent avant de se retourner et de s’enfuir à toutes jambes.
La panique se propagea comme un feu dans le maquis méditerranéen en plein été. Là où il y avait eu une armée, des unités distinctes de guerriers, il n’y avait plus désormais qu’une masse d’hommes en pleine débandade, courant en tous sens, chacun cherchant à sauver sa peau, à s’éloigner au plus vite de la pluie de projectiles qui s’abattait sur lui. Les défenseurs ne les épargnèrent pas. Sans qu’il fût besoin de leur en donner l’ordre, ils tiraient encore et encore dans le dos de l’ennemi en fuite.
Le long des remparts, les hommes riaient et criaient victoire. On scandait « Bal-lis-ta ! Bal-lis-ta ! », « Ro-ma ! Ro-ma ! », « Ni-ké ! Ni-ké ! ». On hurlait à la manière de loups. Et la tuerie continuait.
Ballista regarda à l’autre bout de la plaine. En haut de la haute estrade, assis sur son trône d’or, Shapur restait impassible. Derrière le roi des rois, les silhouettes grises et massives de ses éléphants se tenaient immobiles.
Lorsque les Sassanides rescapés furent hors de portée, toute discipline s’évanouit d’un seul coup sur les remparts, comme lorsqu’un navire s’échoue. Des outres et des cruchons d’alcool apparurent comme par magie. Les hommes renversaient la tête en arrière et buvaient du vin ou de la bière locale à long traits.
Maximus passa à Ballista une cruche de bière. Le Dux avait la bouche pleine de poussière. Il la rinça avec de la bière aqueuse et amère qu’il recracha par-dessus le parapet. Le liquide tomba sur le cadavre d’un Perse. Il se sentit dégoûté. Il but un peu de bière.
— Je me demande bien combien on en a tué de ces bâtards – des milliers, des dizaines de milliers depuis qu’ils sont arrivés.
Castricius avait en main sa propre cruche. Un filet de vin coulait sur son menton.
Ballista ignorait le nombre d’ennemis tués et cela lui était égal. Il se sentait las.
— Castricius, je veux que la garde soit doublée ce soir.
Le centurion parut surpris, mais se ressaisit vite.
— Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts.
Il salua et, tenant toujours sa cruche de vin, s’en fut donner les ordres
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