L'Orient à feu et à sang
gagné, ils ont perdu. C’est terminé.
Il regarda autour de lui, recherchant le soutien de ses légionnaires. Certains acquiescèrent, la plupart évitaient son regard, gardant les yeux baissés, refusant de prendre part au conflit qui couvait entre les deux officiers supérieurs.
— Oui, nous avons gagné aujourd’hui. Mais il y a toujours une multitude de guerriers sassanides à nos portes. Shapur n’a désormais plus rien à perdre. Il sait que nous allons fêter notre victoire. C’est pour lui le moment idéal de frapper à nouveau, pendant que notre vigilance se relâche et que nous croyons être sortis d’affaire.
Ballista sentait la colère monter en lui et empreindre sa voix. En son for intérieur, il pensait : « Tu es peut-être un bon officier, mais ne me pousse pas à bout, espèce de petit connard parfumé et pomponné. »
— Pfft…
Acilius Glabrio accueillit les paroles du Dux par une interjection dédaigneuse. Il fit un geste avec sa coupe. Du vin déborda.
— Il n’y absolument rien à craindre. Shapur ne pourra jamais forcer ses soldats à attaquer ce soir.
Il vacillait légèrement sur ses jambes.
— Je ne vois pas pourquoi j’empêcherais mes gars de s’amuser un peu.
Il adressa un sourire à la ronde. Quelques-uns de ses hommes lui sourirent en retour. Remarquant qu’il ne recevait pas leur soutien unanime, le jeune noble se renfrogna.
— Tribunus Laticlavius, vous allez ordonner à vos hommes de doubler la garde ce soir.
Personne ne pouvait plus manquer d’entendre la colère dans la voix de Ballista.
— Je n’en ferai rien.
Acilius Glabrio le toisait avec défi.
— Vous désobéissez aux ordres directs d’un supérieur.
— Non.
Acilius Glabrio crachait son mépris.
— J’ignore les lubies absurdes d’un Barbare hirsute et présomptueux qui aurait mieux fait de rester dans sa cabane sordide quelque-part au fond des bois.
Un silence pesant s’abattit sur la tour. On entendait au loin le vacarme des soldats en liesse.
— Acilius Glabrio, vous êtes mis à pied. Vous allez vous désarmer et vous rendre chez vous où vous êtes désormais assigné à résidence. Vous vous présenterez demain à la quatrième heure du jour au palais du Dux Ripæ pour passer en cour martiale.
Ballista fit venir un centurion.
— Seleucus, vous informerez le centurion primipile Antoninus Prior qu’il doit prendre le commandement du détachement de Legio IIII à Arété. Il devra s’assurer que suffisamment d’hommes restent sobres afin que la garde soit doublée ce soir. Et dites-lui que je veux qu’une lanterne bleue soit apportée sur chaque tour. Elle devra être allumée au moindre signe d’activité ennemie.
— Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts.
La voix du centurion ne trahissait aucune émotion.
Acilius Glabrio regarda autour de lui. Tout le monde évitait son regard. Se rendant compte du caractère irrévocable de tout ce qui avait été dit, il releva la tête dans une attitude de noblesse outragée, posa sa coupe, défit son baudrier, le passa au-dessus de sa tête et le laissa tomber par terre. Sans un regard pour l’assistance, il descendit l’escalier de la tour. Après un moment d’hésitation, ses deux esclaves se précipitèrent à sa suite.
XVII
— Personne ne sait ce que la fin de soirée nous réserve, dit Bathshiba.
Elle riait. Ses yeux étaient d’un noir de jais.
« Comment diable es-tu entrée ? », pensait Ballista. À l’évidence, Demetrius n’était pas dans les parages. Le jeune Grec n’aimait pas Bathshiba. Il aurait tout fait pour l’éloigner de son kyrios. Mais Maximus et Calgacus se trouvaient bien dans le palais, eux. Et Bathshiba n’aurait pas pu accéder à la terrasse sans qu’ils s’en aperçoivent. Ballista se doutait fort bien de ce qu’ils avaient en tête lorsqu’ils l’avaient laissée entrer.
Elle traversa la terrasse et s’approcha de lui. Elle était vêtue à la manière des mercenaires de son père, mais ni la tunique et le pantalon, ni les bottes, ni l’épée qui battait sur sa hanche ne parvenaient à dissimuler que c’était une femme. Ballista se surprit à lorgner sur ses seins et ses reins cambrés. Elle s’arrêta devant lui, juste hors de portée. Il sentit comme un vide dans sa poitrine.
— Votre père sait-il que vous êtes ici ?
Au moment où il les prononçait, ses paroles parurent ridicules à Ballista.
Bathshiba
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