L'Orient à feu et à sang
muraille.
Incapable d’assimiler cette brusque éruption de violence et ce retour à la normalité tout aussi soudain, Demetrius regardait son kyrios retirer son casque. Lorsqu’il le lui tendit, il s’aperçut que ses propres mains tremblaient. Ballista sourit, les lèvres pincées, et déclara qu’il lui fallait montrer aux gars qu’il était toujours vivant. Demetrius prit conscience du silence oppressant qui régnait sur les remparts. Il regarda Ballista monter sur le cadre de la pièce d’artillerie la plus proche et lever les bras au-dessus de sa tête. Se tournant lentement pour que tous pussent le voir, il agita les mains. Le vent du sud soulevait sa chevelure mouillée de sueur. Sa cuirasse cirée brillait au soleil. Une voix s’écria non loin : « Flavius ! Flavius ! » Tout le long du chemin de ronde, les soldats rirent et reprirent en cœur : « Flavius, Flavius ! », « Le blondin, le blondin ! »
— C’est donc ainsi qu’ils m’appellent, dit Ballista en descendant.
— Entre autres choses, dit Maximus.
Lorsque Demetrius lui tendit le casque, Ballista lui demanda de le poser avec le reste de son équipement jusqu’à ce qu’il en eût besoin. Le jeune Grec plaça le casque sur la peau de loup soigneusement pliée à côté du bouclier de son kyrios, qu’il avait décidé plus tôt de mettre à l’abri dans un coin de la tour.
Depuis le parapet en face du désert, Ballista inspectait les défenses. Les hommes attendaient dans le calme. Au-dessus de leurs têtes, les étendards claquaient dans le vent. Deux tours plus loin au sud, à l’endroit où Turpio était posté, le vexillum vert de Cohors XX flottait ; le nom de l’unité y était inscrit en lettres d’or et l’effigie de sa divinité protectrice, un fier dieu guerrier palmyréen, bougeait dans le vent. La tour la plus au sud était surmontée de l’étendard de bataille de Iarhai, le scorpion rouge sur fond blanc. Haddudad devait être dessous. Ballista se demandait si Iarhai lui-même était présent. Le vexillum rouge du détachement de Legio IIII se dressait deux tours plus loin au nord, arborant en bleu les personnifications de la victoire et en doré, l’aigle, le lion et le nom de l’unité. Le jeune patricien Acilius Glabrio devait avoir pris place dessous. Puis venaient la fleur jaune à quatre pétales sur fond bleu d’Anamu et, près du coin nord-ouest des défenses, la bannière d’Ogelos, l’effigie dorée de la déesse Artémis sur fond violet. Et au centre, au-dessus de la porte principale, le draco blanc du Dux Ripæ qui sifflait et claquait. Çà et là, le long de la muraille, l’air semblait vibrer au-dessus des chaudrons où le sable était chauffé à blanc.
La ville d’Arété était fin prête à affronter l’épreuve ultime. Sa muraille ouest était devenue la dernière frontière de l’ imperium, le point de rencontre entre l’Occident et l’Orient, l’ultime rempart de la romanité, et même de l’humanité, contre la barbarie. L’ironie qui voulait que quatre des six étendards flottant au-dessus de la ville n’eussent rien de romain, n’échappait pas à Ballista.
Il contemplait la horde sassanide à l’autre bout de la plaine dévastée. C’était la quatrième heure du jour. Les Perses avaient mis longtemps à se déployer. Était-ce de la réticence à combattre ? Shapur et les souverains et nobles de ses royaumes-satellites avaient-ils eu du mal à mettre une nouvelle fois leurs hommes en ordre de bataille ? Ou s’agissait-il de mettre la dernière main à leur plan, de s’assurer que tout avait été pris en compte ? Peut-être attendaient-ils simplement que le soleil se détachât de l’horizon, qu’ils ne l’eussent plus dans les yeux tandis qu’ils contemplaient la muraille nue et solitaire d’Arété.
Les Sassanides étaient prêts maintenant, une ligne sombre s’étendant d’un bout à l’autre de la plaine. On n’entendait ni buccin, ni trompette. Des milliers et des milliers de guerriers attendaient en silence. Le vent soulevait des tourbillons de poussière dans le désert. Puis, les roulements de tambours et les sonneries de buccins retentirent. Les rayons du soleil se réfléchirent sur la sphère d’or surmontant le grand étendard de bataille de la maison des Sasan tandis qu’on l’amenait devant les lignes. Drafsh-i-Kavyan lançait ses reflets jaunes, rouges et violets. Un chant guerrier allant s’amplifiant se fit
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