L'Orient à feu et à sang
à nouveau dans le sommeil, mais il s’efforça de suivre le cours de ses pensées. Les Perses exposaient leurs morts aux charognards – corneilles, corbeaux, vautours. Cela voulait-il dire qu’ils vénéraient les vautours (l’instrument de la volonté de leur dieu) ou qu’ils les avaient en horreur ?
Les vautours avaient tournoyé au-dessus de la statue érigée au milieu de l’agora. Une statue en or qui scintillait au soleil. Elle était grande, peut-être avait-elle été sculptée plus grand que nature, mais elle représentait un homme de grande taille. Nu, dans la posture du Doryphore, le porte-lance. Les muscles de son bras gauche était contractés par le poids du bouclier qu’il tenait loin de son corps ; ceux de son bras droit, tenant une lance à hauteur de flanc, plus relâchés. Le poids de son corps reposait surtout sur la jambe droite, la gauche étant légèrement avancée, le genou plié. Nichés sous la crête iliaque, la partie saillante marquant la jonction entre bassin et cuisses, le pénis et les testicules étaient suffisamment petits et marqués pour évoquer dans l’esprit d’un Grec la retenue admirable propre à l’homme civilisé. Par certains côtés, elle divergeait du canon fixé par le grand sculpteur Polyclète. Le sujet était plus musclé, plus fermement campé sur ses jambes.
Demetrius écrivit : « Statue en or au milieu de l’agora, représentation de Ballista dans la posture du porte-lance, pas totalement conforme au canon de Polyclète. »
Il demeura immobile un instant, tournant et retournant le rêve dans son esprit, pesant les bons et mauvais présages. Mais il valait mieux ne pas préjuger des choses : il arrivait souvent que les interprétations des oniromanciens [50] contredisent toutes les attentes. Dès qu’il le pourrait, mais pas aujourd’hui, il irait en trouver un à l’agora d’Arété.
— Bonjour, Dux Ripæ , dit Acilius Glabrio.
Dans la bouche du jeune patricien, le titre ressemblait à une distinction en usage chez l’une des tribus d’Hyperboréens [51] les plus reculées.
— Bonjour, Tribunus Laticlavius. Je crains que nous ne soyons un peu en avance.
Ballista et sa suite étaient partis tôt. Ils avaient lentement traversé la ville à pied, mais étaient délibérément arrivés au champ d’exercice avant l’heure fixée.
— Si vos hommes ne sont pas prêts…
Le jeune tribun ne semblait pas pris de court, il souriait au contraire.
— Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts.
D’un geste de propriétaire, il indiqua à Ballista et sa suite la tribune de revue des troupes.
Ils parcoururent en silence les quelque deux cents pas qui les en séparaient. Ballista prit place devant, au centre, comme de juste, Acilius Glabrius et Mamurra respectivement à sa droite et à sa gauche ; Maximus se tenait debout derrière l’épaule gauche de Ballista et Demetrius derrière son épaule droite. Ballista avait aussi amené l’haruspice en chef, les deux hérauts, trois scribes et quatre messagers ainsi que cinq de ses equites singulares (ses gardes du corps à cheval), et Romulus portant comme toujours le draco blanc qui flottait dans la brise légère.
Quatre soldats s’étaient mis à la disposition d’Acilius Glabrio. Tandis qu’on envoyait l’un d’entre eux donner l’ordre aux hommes de commencer la parade, Ballista observait le tribun du coin de l’œil.
Le jeune patricien portait les cheveux longs. Coiffés en arrière pour dégager son front, ils rebiquaient en boucles savantes derrière ses oreilles et sur sa nuque. Sa barbe était coupée court, à l’exception d’un toupet assez long à son extrémité. Ballista admirait beaucoup Gallien, le plus jeune des empereurs, mais non ceux qui en copiaient presque servilement la coiffure et la forme de la barbe.
Une assourdissante sonnerie de buccin retentit et les deux cohortes formant le détachement d’Arété de la Legio IIII Scythica se dirigèrent au pas cadencé vers le champ d’exercice. Chacune y pénétra séparément par la droite, en une longue colonne formée de quatre rangées de cent vingt hommes. Les soldats s’arrêtèrent, se tournèrent vers la tribune dans un beau mouvement d’ensemble, saluèrent et crièrent d’une seule voix : « Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts. »
La première impression de Ballista était celle d’une discrète confiance en leur aptitude à combattre.
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