L'Orient à feu et à sang
Un rapide calcul indiquait que le détachement était au complet : neuf cent soixante hommes. Autant qu’il pût en juger, tous les légionnaires étaient équipés de pied en cap : casque en métal ou autre protection pour la tête, cotte de mailles, bouclier ovale, lourds javelots et épées d’entraînement en bois. Tous les boucliers étaient protégés par des housses en cuir ; aucune crête n’ornait les casques, et aucun chefaillon n’avait tenté d’imposer une quelconque uniformité aux hommes – le style des casques différait légèrement, certains préférant même porter une cagoule de mailles. C’était une unité parée au combat et non à la parade dans un palais impérial.
Dès que le nouveau Dux Ripæ les eut saluées en retour, les deux cohortes se mirent en ordre moins serré. La plus proche de la tribune se retourna, et au signal, les deux cohortes se croisèrent, puis pivotant chacune autour d’un centurion, se réalignèrent en deux colonnes qui ne faisaient plus face à la tribune, mais s’en éloignaient. Le tout fut brillamment exécuté.
Acilius Glabrio se pencha en avant, s’appuya sur la balustrade de bois, et cria :
— Êtes-vous prêts à combattre ?
À peine eut-il fini qu’un millier de voix rugirent en réponse :
— Prêts !
Par trois fois, l’appel et la réponse retentirent puis, devançant presque le signal, les centuries de la cohorte de gauche adoptèrent la formation testudo ; six tortues compactes de quatre-vingts hommes ; leurs boucliers couvrant l’avant, les flancs et l’arrière, et serrés comme des tuiles sur le dessus, s’assemblèrent juste à temps dans un choc sourd au moment où le premier rang de la cohorte de droite courait et lançait une volée de javelots mouchetés. Ils étaient encore dans les airs lorsque le deuxième rang, dépassant le premier, lança une autre volée. L’opération se répéta encore et encore. Un bruit de tonnerre assourdissant retentit lorsque l’une après l’autre, les volées de javelots heurtèrent les lourds boucliers garnis de cuir. Le buccin sonna et l’on échangea les rôles. Ce fut une autre démonstration impeccable.
Il y eut une pause, les deux cohortes se faisant face. Puis le barritus commença à se faire entendre. Le cri, sourd tout d’abord – les légionnaires tenant leurs boucliers devant leurs bouches pour en accentuer la réverbération – s’amplifia jusqu’à devenir un assourdissant hurlement d’outre-tombe. Le barritus, ce cri de guerre des Germains que les Romains avaient adopté, donnait toujours la chair de poule à Ballista, faisait battre son cœur plus vite, ne manquant jamais d’évoquer en lui tout ce qu’il avait abandonné.
Le cri retentissait encore que les deux cohortes se lancèrent à l’assaut l’une de l’autre. Les armes avaient beau être en bois, sans pointe ni bord de métal, elles pouvaient blesser, estropier et même tuer pour peu qu’elles fussent maniées avec adresse et détermination.
On donna le signal et les combattants se séparèrent. Les infirmiers militaires emportèrent la douzaine d’hommes souffrant de côtes fêlées, de membres fracturés et de blessures à la tête. Puis les cohortes formèrent une phalange serrée de seize rangées d’hommes tournés vers la tribune. L’un des hérauts de Ballista s’approcha de la balustrade et hurla à l’attention des légionnaires qui ne soufflaient mot :
— Silence ! Silence dans les rangs pour Marcus Clodius Ballista, Vir Egregius, Dux Ripæ.
Les hommes demeuraient silencieux.
Ballista et les légionnaires s’entre-regardaient. Les légionnaires bombaient le torse. Ils s’étaient bien comportés et ils le savaient. Mais Ballista décelait aussi en eux une certaine curiosité. Il les avait vus en action alors qu’eux ne savaient rien de lui, à part ce qu’ils avaient pu apprendre par la rumeur publique. Il y avait fort à parier qu’ils partageassent les même préjugés que Acilios Glabrio à l’encontre des Barbares du Nord.
— Milites, soldats… (Ballista avait pensé un instant les appeler commilitiones, frères d’armes, mais il détestait les officiers recherchant à tout prix la popularité : « frère d’armes » était un titre qui devait se gagner des deux côtés.) Milites, beaucoup de choses jouent en votre défaveur. Beaucoup de choses pourraient excuser des manœuvres mal exécutées. C’est toujours difficile pour une vexillatio
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