L'Orient à feu et à sang
dit :
— Pilus Prior, fais en sorte que la Cohors XX se trouve sur le Champ de Mars à la troisième heure demain. Les comptes de l’unité seront contrôlés à la sixième heure.
Turpio prit sèchement acte de l’ordre. Quelle qu’eût été la relation de camaraderie que le long périple avait fait naître entre les deux soldats professionnels, elle s’évanouit comme si elle n’avait jamais existé. Le visage de Turpio était fermé et respirait l’hostilité.
— Dis à ton tribun qu’il ferait mieux d’être là s’il attache une quelconque importance à son avenir.
Ballista était certain que Turpio en savait plus sur l’absence de Scribonius qu’il ne voulait bien le dire. Conscient qu’il ne découvrirait rien en présence de nombreuses troupes et de la moitié de la population de la ville, il fit volte-face et s’en alla.
Après avoir accompli le sacrifice rituel et s’être baigné dans son nouveau palais, Ballista se rendit à pied au temple d’Artémis. Là, sur le seuil de ce qui passait pour être un bouleutérion, le bâtiment où se réunissait le conseil de la cité, il attendit debout. Il n’appréhendait pas du tout le discours qu’il aurait maintenant à y faire. À la différence du précédent, celui-ci serait tout empreint de dures réalités.
L ’enclos sacré d’Artémis occupait l’îlot dans son entier. Le conseil se réunissait dans un bâtiment plutôt petit dans le coin sud-est. Le fait que le bouleutérion fût à l’écart de l’agora, que les conseillers pussent être libres de s’isoler pour se réunir, loin des gens ordinaires, en disait long sur l’équilibre politique entre riches et pauvres dans cette ville.
— Dominus , auriez-vous l’obligeance de me suivre ? dit l’archonte.
Demetrius souffla son nom à l’oreille de Ballista. Anamu avait bien étrange allure. Ce n’était pas intentionnel. Il portait une toge de cérémonie ornée d’une fine rayure violette et sa barbe ainsi que ses cheveux dégarnis étaient coupés de manière conventionnelle. C’était sa tête qui était déconcertante : son visage était bien trop long et ses yeux bien trop écartés, leurs coins externes tournés vers le bas semblant reproduire les commissures de ses lèvres.
Anamu les mena dans une pièce en forme de U où une quarantaine d’hommes, les conseillers d’Arété, étaient assis. « Marcus Clodius Ballista, Vir Egregius, Dux Ripæ, soyez le bienvenu. » Anamu s’assit sur le premier gradin, à l’endroit où son nom était inscrit. Seuls Iarhai et Ogelos, le prêtre d’Artémis, y avaient pris place. De nombreux noms parmi ceux qui y étaient gravés avaient été rayés. À l’évidence, la politique était une activité dangereuse dans cette ville. Ces trois survivants étaient les hommes qui comptaient vraiment. Pourtant, il aurait été imprudent d’ignorer les autres conseillers. Ballista voyait que la plupart des prêtres qui l’avaient accueilli aux portes de la ville siégeaient comme conseillers, y compris le prêtre chrétien hirsute.
Le calme régnait. Des particules de poussière flottaient dans la lumière du soleil. Ballista commença à parler.
— Conseillers, vous devez vous préparer à de très grands sacrifices. Les Sassanides arrivent. Au printemps prochain, ils remonteront l’Euphrate. Ils seront conduits par Shapur, le Roi des Rois en personne. Comme les habitants d’Arété ont massacré sa garnison l’année dernière, il ne reculera devant rien pour prendre la ville. S’il y parvient, les vivants envieront les morts. (Ballista marqua une pause.) Les empereurs Valérien et Gallien m’ont donné les pleins pouvoirs pour organiser la défense de la ville. Nous pouvons tenir jusqu’à ce que le grand Valérien nous vienne en aide à la tête d’une armée de campagne impériale. Mais cela sera difficile. Je vais avoir besoin de votre soutien inconditionnel. Soyez sûrs que si nous ne nous unissons pas maintenant, nous mourrons tous séparés, crucifiés chacun sur sa propre croix.
Cela avait été une longue, très longue journée. Ballista avait peine à croire qu’il avait vu Arété pour la première fois ce matin même. Il était assis de côté sur le muret de la terrasse. L’Euphrate coulait deux cent cinquante pieds en contrebas. De ce côté-ci du fleuve, il y avait des bosquets de tamarins et quelques palmiers dattiers ; de l’autre côté, des champs cultivés s’étendaient presque
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