L'Orient à feu et à sang
remparts.
— Demetrius, prends note : nous placerons de lourds rochers au bord du ravin sud afin de les pousser sur tous les Perses assez fous pour approcher par cette voie.
La porte s’ouvrit et un contubernium de légionnaires les salua. Ballista et ses hommes mirent pied à terre et discutèrent avec eux. Dans le mur, au pied de la falaise, d’autres légionnaires dégageaient l’entrée d’un des tunnels bouchés par des planches. Ballista leva les yeux sur la paroi de la falaise. Elle était étroitement stratifiée, marquée de stries rapprochées comme les lignes sur un registre. Il réprima un frisson à la pensée de qui se trouvait derrière, le tunnel obscur et suintant qu’il avait emprunté, la peur au ventre, deux jours plus tôt.
Ils continuèrent vers le nord, le long de la berge. Il régnait partout une grande agitation. Des outres d’eau étaient hissées depuis la rivière au moyen de cordes coulissant sur des cadres de bois branlants et tirées par des ânes. D’autres ânes et des hommes les portaient ensuite en haut de l’escalier abrupt jusqu’à la Porta Aquaria. Des bateaux s’amarraient à la jetée, acheminant toutes sortes de victuailles provenant de la campagne fertile de l’autre côté du fleuve : des figues, des dattes, des poulets ficelés caquetant avec indignation. Des fermiers portant leurs produits ou poussant devant eux leurs baudets chargés s’ajoutaient à la bousculade sur les marches menant à la ville. Une odeur de poisson grillé provenant du marché tout proche flottait dans les airs.
Il était midi passé, bien après l’heure du déjeuner. Le groupe se fraya un chemin jusqu’à l’échoppe et l’un des soldats commanda leur repas.
On avait nourri et abreuvé les chevaux avant de les attacher à l’ombre, et les cinq cavaliers s’étaient assis, buvant du vin et mangeant des pistaches. Le soleil d’hiver était aussi chaud que par une journée de juin dans le pays natal de Ballista. Des hommes s’affairaient à préparer le repas. Les poissons vidés étaient grillés dans une cage de métal attachée à une branche d’arbre et suspendue au-dessus du feu. La graisse grésillait et la fumée montait en volutes.
Au pied des marches, une chèvre échappa à son propriétaire et de furieux éclats de voix retentirent. De l’araméen. Ballista n’y comprenait goutte. Il fut frappé par l’ironie qui voulait qu’il sût parler la langue des conquérants de ce peuple, les Romains, celle de ceux qui voulaient les remplacer, les Perses, mais non celle de ceux dont on lui avait confié la protection.
Le soleil se reflétait sur l’Euphrate tandis qu’ils reprenaient la route, ragaillardis. Ballista se demandait si le terrain était assez stable sur la plus proche des îles. Si les Perses ne se procuraient pas de bateaux, on pourrait s’y réfugier au cas où la ville tomberait. Un refuge éphémère, mais tout de même. Il était vital de se ménager une porte de sortie. Il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour défendre cette ville, mais il ne tenait pas à ce qu’Arété fût la scène de sa dernière bataille.
Ils échangèrent quelques mots avec les gardes avant de sortir par la porte du nord, en tout point semblable à celle du sud. Les pentes du ravin nord aussi étaient abruptes, mais aucun sentier ne les traversait. Les silhouettes au loin et en haut des remparts surmontant la poterne étaient minuscules.
Les pluies avaient éboulé un morceau de la falaise sous les murs de la ville et un amas de terre et de rochers s’était formé dans le ravin, telle une rampe de siège mal construite. Il semblait instable, sa surface dangereuse. Certains assaillants pourraient y prendre pied, mais à la longue, il était probable qu’il cédât et vînt tapisser le fond du ravin. Le moral de Ballista était au beau fixe. S’il s’était trouvé au sommet, il aurait été très tenté de mettre Cheval Pâle à contribution, juste pour voir s’ils étaient capables d’arriver en bas en un seul morceau.
— Onagre, dit l’un des soldats à voix basse.
L’âne sauvage paissait dans le ravin, à environ cent pas. La tête baissée, il cherchait de son museau blanc des feuilles d’alhagi [58] .
L’un des soldats passa sa lance à Ballista. Il n’avait jamais chassé l’onagre. La hampe en cornouiller de la lance lui parut lisse et solide au toucher. Il talonna doucement Cheval Pâle qui partit lentement au pas. L’onagre leva
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