L'Orient à feu et à sang
porte de la Palmyrène et à la Porta Aquaria doit être doublée. Chaque personne entrant ou sortant de la ville devra être fouillée ; il ne s’agit pas seulement de chercher des armes, mais des messages aussi. Je veux que les fouilles soient poussées : chaussures, coutures des tuniques et des capes, bandages, sellerie – on peut coudre un message dans une bride aussi facilement que dans la semelle d’une sandale. Fais savoir à Acilius Glabrio que je le tiens responsable de l’exécution de ces ordres.
Demetrius observa son kyrios à la dérobée. Il paraissait puiser de l’énergie dans l’action violente, le danger. Les deux épisodes récents – combattre les Borani dans la mer Égée et, la veille, se précipiter à l’intérieur de l’entrepôt en flammes – semblaient l’avoir revigoré, l’avoir rendu plus déterminé, plus fort. « Dieux, faites que les choses demeurent ainsi et étendez vos mains sur lui. »
Demetrius ne pouvait s’empêcher de penser à l’oniromancien. La rencontre l’avait troublé. Le vieil homme était-il un mystificateur ? Il aurait pu déduire logiquement qu’il était le secrétaire de Ballista. Demetrius lui avait, sans le vouloir, révélé qu’il recourait souvent aux oniromanciens lorsqu’il avait parlé des portes d’ivoire et de corne par lesquelles les dieux envoyaient les rêves illusoires ou véridiques. Comme Demetrius n’avait jamais consulté le vieil homme auparavant, on pouvait en déduire qu’il était en ville depuis peu – et qui, à part Ballista, venait d’arriver accompagné d’un jeune secrétaire Grec érudit ?
Le vieil homme avait prédit tumulte et confusion, traîtrises et complots, et un éventuel décès. Le rêve était-il d’inspiration divine ? Ou l’interprétation qu’en avait fait le vieillard avait-elle des visées plus prosaïques – un avertissement, destiné à perturber et à ébranler ? Cela avait-il un rapport quelconque avec le sabotage de l’entrepôt ? Devait-il en parler à Ballista ? Mais Demetrius se sentait obscurément coupable d’avoir consulté un oniromancien et, plus encore, il craignait les moqueries de Ballista.
Pourtant, à cet instant, Ballista songeait aussi à la traîtrise et essayait aussi de prédire l’avenir. S’il rejoignait les Perses et qu’on le nommait général, quel serait son plan d’attaque ?
Il dresserait son camp à peu près ici ; à cinq cents pas des murs, juste hors de portée de l’artillerie. Il se représenta les défenses telles qu’elles seraient en avril : les tombes dégagées des approches. Il lancerait un assaut tout de suite, sur la plaine, à découvert. À quatre cents pas, traits et pierres commenceraient à pleuvoir et ses hommes à mourir. À deux cents pas, flèches et frondes en tueraient encore beaucoup d’autres. Le sol serait jonché de pièges, des fosses et des pieux. Puis viendraient le fossé, d’autres pieux, d’autres pièges. Les hommes devraient monter sur le glacis abrupt, sous une pluie d’objets meurtriers lancés depuis les remparts, les écrasant, les aveuglant, les brûlant. Une fois que les échelles seraient appuyées contre les murs, les survivants commenceraient à les gravir, espérant contre toute vraisemblance qu’elles ne se briseraient pas, qu’elles ne seraient pas repoussées et qu’ils ne se rompraient pas les os en tombant. Puis les quelques hommes restants se battraient au corps à corps contre des assiégés désespérés. L’assaut pourrait réussir, mais il était plus probable qu’il échouât. Mais quelle qu’en fût l’issue, des milliers de guerriers parmi les assiégeants mourraient.
Une plaine couverte de morts et de mourants, un assaut repoussé – que ferait Shapur ? Ballista réfléchit à toutes les choses que Bagoas lui avait dites sur les Sassanides. Il était crucial de comprendre son ennemi, d’essayer de penser comme lui. Shapur ne serait pas découragé. Il était roi par la volonté de Mazda, il était de son devoir d’apporter les feux de bahram au monde entier pour qu’ils y fussent vénérés. Cette ville s’était déjà jouée de lui par le passé, les portes en avaient été ouvertes et sa garnison massacrée. Ce nouvel échec prouverait une fois de plus, s’il en était besoin, la nature malfaisante de ses habitants. Il était Shapur, le Roi des Rois, non pas un seigneur de la guerre barbare venu du Nord, ne valant pas beaucoup plus que les combattants
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