L'Orient à feu et à sang
la tête. Du sabot de sa patte postérieure, il gratta l’une de ses longues oreilles. Il fixa des yeux le cavalier qui s’approchait, puis fit volte-face et, rassemblant sous lui son arrière-train, détala. Ballista poussa sa monture au petit galop. Même s’il était loin de galoper ventre à terre, l’onagre allait bon train, suprêmement confiant sur le lit accidenté du torrent à moitié à sec. Sa croupe marron-jaune aux caractéristiques rayures blanches ourlées de noir s’éloignait vite. Ballista poussa Cheval Pâle. Aussi sûr que fût son pied, il ne voulait pas le lancer à bride abattue sur un terrain aussi mauvais. Il avait le temps. La poursuite s’annonçait longue. Ils ne pouvaient aller nulle part ailleurs que devant eux.
Le ravin se resserrait. Ballista sentait que Maximus et les autres étaient distancés. L’onagre arriva à une fourche et sans hésiter, bondit vers la droite. Ballista ralentit l’allure de Cheval Pâle et regarda autour de lui. Les versants de la falaise étaient à pic à cet endroit. Il devait se trouver à peu près au niveau des défenses ouest, mais il n’apercevait ni les murs de la ville, ni la plaine. Un tournant du sentier le dissimulait à la vue des autres cavaliers. De son propre chef, Cheval Pâle suivit l’onagre sur le chemin de droite.
Au fond du ravin, les rochers semblaient avoir emmagasiné la chaleur de l’été pour la restituer à ce moment précis. Des nuées de moucherons apportés par les pluies piquaient le visage de Ballista, pénétraient dans ses yeux, dans sa bouche. Le sentier montait de plus en plus. Les sabots de l’onagre soulevaient des nuages de poussière tandis qu’il continuait inlassablement à courir. Cheval Pâle fatiguait et Ballista lui tint la bride un peu plus courte.
Soudain, il fit un brusque écart, s’arrêta net et bondit vers la gauche, ses sabots dérapant sur le sol. Pris de court, Ballista fut propulsé en avant ; il était sur le point de passer par-dessus l’épaule droite du hongre, mais l’arçon droit de sa selle s’enfonça dans son ventre et l’en empêcha. Le cheval, les yeux agrandis par la panique, tournait rapidement sur lui-même. Les rotations faisaient progressivement glisser Ballista vers le sol, menaçant de le désarçonner tout à fait. Il tenait toujours la lance dans sa main droite, sa pointe rebondissait sur les rochers en cliquetant. Serrant les cuisses de toutes ses forces, Ballista parvint à attraper le pommeau de la selle de sa main gauche. Avec l’énergie du désespoir, il commença à se redresser pour remonter en selle. Il sentit la selle glisser, la sangle se détacher.
Il n’y avait rien d’autre à faire : il jeta la lance, lâcha le pommeau et lança sa jambe par-dessus la selle pour en descendre. Dans un bruit de torsion écœurant, sa botte gauche s’accrocha au pommeau et Ballista, presque à l’horizontale, se mit à tourner en même temps que le cheval, sa tête passant à quelques pouces des rochers acérés. Il tenta de dégager sa jambe, luttant contre la force centrifuge. Son pied finit par sortir de la botte et il s’écrasa lourdement à terre.
Son bras droit était éraflé, son épaule tuméfiée, mais il ne chercha pas à faire le compte de ses blessures. Il vit la lance et se traîna vers elle tant bien que mal. Tenant l’arme à deux mains, il s’accroupit et regarda autour de lui avec méfiance, cherchant ce qui avait pu effrayer son cheval.
Les grands yeux jaunes, à la fois impénétrables et rusés, le fixait à une vingtaine de pas. Un lion. Un mâle adulte qui devait bien mesurer huit pieds. Ballista l’entendait respirer, sentait l’odeur de sa fourrure, peut-être même son haleine fétide. Le lion remua la queue, montra ses dents. Il gronda : un long grognement sourd et terrifiant.
Ballista avait bien souvent vu des lions dans l’arène, à distance respectable. On en avait lâché un, à Arelate, le matin du jour où il avait vu combattre Maximus. « C’est maintenant que l’Hibernien devrait arriver et payer sa dette en me sauvant la vie », pensa Ballista.
Il les avait déjà vus tuer des criminels ainsi que quelques gladiateurs. Ils se servaient de leur impulsion pour renverser l’homme, le clouant au sol de leur poids et de leurs griffes écartées, aiguisées comme des rasoirs, puis plongeaient leurs longs crocs, presque délicatement, dans sa gorge.
Ballista savait qu’il n’aurait qu’une seule chance. Il
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