L'Orient à feu et à sang
s’accroupit de côté et agrippa fermement des deux mains la hampe de sa lance, en en coinçant l’extrémité sous son pied droit, encore botté.
Le lion avança plus vite que Ballista ne l’aurait cru possible. Une foulée, deux, puis trois et il se campa sur ses pattes avant, s’apprêtant à bondir. La tête en avant, il se jeta sur Ballista.
La lance heurta le lion au poitrail. Le choc l’arracha des mains de Ballista et fit sortir le bout de la hampe de sous son pied. Il se rejeta en arrière, un coup de patte lui laboura le bras et l’envoya bouler.
Le lion atterrit, les pattes jointes, son poitrail s’abaissa, enfonçant la lance plus profondément dans son corps. La hampe se brisa et le lion tomba à la renverse, les pattes écartées.
Il se remit sur ses pattes. Ballista se redressa et dégaina sa spatha. Le lion s’effondra.
Maximus et le soldat qui détestait les chrétiens apparurent dans un crépitement de sabots. « Un grand bonhomme ! » l’Hibernien rayonnait de joie. « C’est vraiment un grand bonhomme ! »
Un groupe d’une vingtaine de paysans, venus d’on ne savait où, s’était formé. Ils faisaient cercle autour du cadavre du lion en jacassant.
— Ils vont probablement se mettre à te vénérer, cria Maximus, le visage toujours radieux. Ton lion terrorisait leur village. (Il leva son pouce par dessus son épaule.) On est arrivé jusqu’aux villages des collines, au nord-ouest de la ville.
Maximus s’étant vu confier les tâches de faire écorcher le lion et d’en transporter la dépouille en ville, Ballista s’approcha de Demetrius qui se tenait debout à côté de Cheval Pâle.
— Qu’est-ce qui ne va pas, dit-il en levant les yeux des sabots du hongre qu’il était en train d’inspecter.
— Il serait peut-être préférable de ne pas trop se vanter d’avoir tué le lion, dit le jeune homme, contrarié. Du temps de l’empereur Commode [59] , un certain Julius Alexandre, appartenant à l’une des grandes familles d’Émèse, tua un lion au javelot pendant une chasse à cheval. L’empereur envoya ses frumentarii l’assassiner.
— Commode était fou. Ce n’est pas le cas de Valérien et Gallien.
Il serra l’épaule du jeune homme.
— Tu te fais trop de soucis. Tout ira bien. Et si j’essayais de ne rien en dire et que malgré tout la nouvelle s’ébruitait, cela paraîtrait suspect.
Ballista se retourna, puis s’arrêta.
— Qu’est-il arrivé à cet homme ?
— Il a dû fuir vers l’Euphrate, rejoindre l’ennemi.
Demetrius se garda d’ajouter que Julius Alexandre s’était enfui en compagnie d’un jeune favori. Le garçon ne pouvait pas suivre. L’homme avait mis pied à terre, lui avait tranché la gorge avant de s’ouvrir le ventre avec son épée.
Quatre jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait tué le lion, et chaque moment de veille pendant ces quatre jours lui semblait avoir été consacré à des réunions. Les participants changeaient – parfois un petit groupe, sa familia ; en d’autres occasions, un groupe plus important lorsqu’il convoquait son consilium. Il avait demandé une fois à ce que les trois protecteurs de caravanes, Iarhai, Anamu et Ogelos, y assistassent. La scène et ses accessoires étaient à chaque fois identiques : un grand plan d’Arété étalé sur la table de la salle à manger dans le palais du Dux Ripæ ; les registres généraux pour la période en cours de la Legio IIII et de la Cohors XX, désormais à jour, posés à proximité ; des tablettes à écrire, des stylets et des feuilles de papyrus traînant un peu partout. Les discussions et calculs interminables avaient permis à Ballista d’arrêter son plan de défense d’Arété. Il était maintenant temps d’en faire part à la boulé , aux conseillers de la ville – ou du moins de leur en dire tout ce qu’ils avaient besoin de savoir.
C’étaient les calendes de décembre. Ballista attendait au calme dans la cour du temple d’Artémis. Le siège du pouvoir à Arété ne manquait jamais de l’étonner. Dans les villes où la démocratie n’était pas un vain mot, le bouléuterion faisait face à l’agora, où le démos , le peuple, pouvait avoir l’œil sur les conseillers. Ici, le conseil siégeait derrière des portes closes, dans un bâtiment à l’écart, situé dans un coin d’un terrain entouré de murs. Une démocratie protégée de ses propres citoyens par des hommes en armes.
En regardant
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