Louis Napoléon le Grand
contestation de paternité.
Ce n'est pas Bazaine qui capitule honteusement à Metz, c'est Louis Napoléon. A l'inverse, ce n'est pas Louis Napoléon qui refait Paris, c'est le baron Haussmann; ce n'est pas lui qui conduit notre expansion coloniale, ce sont quelques officiers entreprenants et esseulés; ce n'est pas lui qui lance le libre-échange, c'est Michel Chevalier; c'est Lesseps seul qui triomphe à Suez de toutes les difficultés; et c'est aux frères Pereire que revient le mérite d'avoir mené à bien la réforme financière.
On pourrait ainsi accumuler les exemples en ajoutant que si, pour telle ou telle affaire réussie, on ne trouve personne à substituer à Louis Napoléon, le mérite en est attribué à la force des choses ou au concours des circonstances.
En mettant à part les contributions de certains témoins de l'époque — contributions dont la subjectivité n'exclut pas la valeur, tel l'admirable Empire libéral d'Émile Ollivier — il faudra les travaux de plusieurs auteurs anglais, séduits par le côté aventurier du personnage, pour que l'historiographie de Louis Napoléon en vienne à évoluer dans un sens moins systématiquement défavorable. Justice commencera même à lui être rendue, lorsque sedéveloppera l'intérêt pour l'histoire économique et sociale, notamment pour celle de l'urbanisme, intérêt conduisant à étudier de plus près l'oeuvre accomplie et donc à en mesurer plus exactement les mérites.
C'est dire qu'on ne saurait prétendre ouvrir ici un procès en réhabilitation, lequel est déjà largement engagé. Mais pour convaincants et largement étayés qu'ils soient, les arguments de la défense n'ont guère circulé au-delà de milieux plutôt restreints et, dans les tréfonds de l'âme nationale, Louis Napoléon reste un homme plus que contesté: condamné. Il n'est donc pas inutile d'essayer de servir à la fois sa mémoire et la vérité.
C'est le but de ce livre, qui s'efforcera cependant d'éviter les excès. Le sentiment d'injustice qui saisit souvent l'observateur impartial de ce destin si mal compris conduit parfois... à des excès réparateurs. Louis Girard l'a fort bien dit: « Comme toute réaction, celle-ci a eu et a encore ses ultras. » Nul besoin donc d'en rajouter!
Pourtant ce livre sera sans conteste un livre de parti pris. Car il prend bel et bien le parti d'exprimer les raisons qui existent de ne pas laisser Louis Napoléon Bonaparte croupir dans un recoin obscur et honteux de notre mémoire collective.
Un portrait, une biographie font toujours place, il est vrai, à la subjectivité. Selon la cause qu'on veut défendre, un même trait de caractère — illustré par des manifestations extérieures identiques —, une même action peuvent donner lieu à des présentations et des interprétations différentes, voire contradictoires. Au point, dit-on, qu'à lire un portrait on en apprend parfois au moins autant sur l'auteur que sur le modèle.
L'auteur, ici, ne fait donc pas mystère de ses sentiments. Du moins ses préférences ont-elles leurs raisons. Il a cherché à comprendre les ressorts de son modèle, ce qui l'anima, ou pour utiliser une expression quelque peu triviale « ce à quoi il marcha ». Et il a cru à sa sincérité.
Il lui a semblé qu'on avait fait assez de mal à cet homme qui a voulu sincèrement, honnêtement, courageusement, servir la France, qui s'y prépara, et qui accomplit sa tâche avec une force personnelle, morale, digne de respect, sinon d'admiration.
Est-il admissible que sa dépouille soit encore considérée comme celle d'un pestiféré et repose en terre étrangère? Il aura fallu attendre janvier 1988 pour que, pour la première fois depuis1870, un gouvernement français, discrètement, se fasse représenter à une cérémonie organisée à sa mémoire. Il aura fallu attendre 1990 pour que la Ville de Paris décide de donner son nom à l'une de ses places.
Beaucoup reste à faire pour le reconnaître tel qu'il fut.
I
L'HOMME
Un imbécile, un minable, un crétin. Un illuminé. Un homme écrasé, dépassé par son destin. Un velléitaire, incapable de traduire en actes ses idées. Un ambitieux, dépourvu, de surcroît, de tout scrupule. Ainsi Louis Napoléon est-il le plus fréquemment présenté par ses adversaires qui furent légion et ses contempteurs qui tiennent toujours le haut du pavé. Charge féroce, traits contradictoires : il est vrai qu'il leur faut, à la fois, passer sous silence la
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