Louis Napoléon le Grand
idées? Il va se charger pourtant d'assurer la formation d'un prince exilé, sachant bien entendu qu'on nourrit pour son élève des ambitions de carrière fort peu compatibles avec ses propres espérances. Sans doute ya-t-il là une illustration de l'ambiguïté des rapports entre la République et le bonapartisme, qui, face à un ennemi commun, éprouvent toujours beaucoup de mal à s'exclure l'un l'autre. Les temps étant ce qu'ils étaient, Le Bas se trouvait devant un dilemme: servir un Bourbon ou servir un Bonaparte. Ainsi s'explique sans doute sa décision. Le Bas sera congédié par la reine en 1827, non point parce que ses idées avaient fini par déplaire, mais tout simplement parce que son ménage était devenu encombrant, à un moment où les va-et-vient avec l'Italie s'étaient faits plus nombreux.
Dans un âge où l'esprit se forme, où le comportement se dessine, où l'homme se bâtit, Louis Napoléon va être ainsi imprégné heure après heure, jour après jour, de l'idéal, de la philosophie, des thèses républicaines: jacobinisme, souveraineté du peuple, liberté, égalité, générosité, tels sont les principes qu'on lui inculque, sans parler d'une teinte d'athéisme. Il en sera profondément et durablement marqué.
Hortense savait mieux que quiconque ce que Le Bas introduisait dans l'esprit de son fils. Cela n'était pas pour la gêner ou l'effaroucher. Elle était le témoin d'autant plus complaisant des emballements de Louis Napoléon qu'elle y était elle-même sujette. Encore que ce ne fût point toujours au même degré ou dans les mêmes domaines. Elle était probablement, par exemple, moins encline que lui à considérer Schiller comme une sorte de dieu, ayant subi trop d'épreuves pour ne pas avoir acquis une solide dose de réalisme... Et quand Louis Napoléon rêvait tout haut de démocratie, se promettant de restituer le pouvoir au peuple, elle le mettait en garde ou, plus précisément, lui prédisait qu'il ne pourrait parvenir à ses fins.
En tout état de cause, cette rencontre insensée avec Le Bas est, à n'en pas douter, une des clés de la compréhension de cet esprit complexe qu'est Louis Napoléon.
Plus tard, l'ancien précepteur connaîtra une carrière exceptionnelle: professeur à l'École normale supérieure, il finira président de l'Institut. En dépit de l'amertume que lui avait causée son renvoi, il est patent qu'il continua de porter à son ancien élève un véritable amour paternel. Mais son engagement l'emporta sur ses sentiments. Il protesta publiquement contre le coup d'État et se mura dans une opposition résolue dont l'impératrice Eugénie lui fit davantage reproche que l'empereur lui-même. Le Bas devaitparaître une dernière fois devant Louis Napoléon à une cérémonie de voeux où il conduisait une délégation des cinq Académies. Non seulement l'empereur lui fit bonne figure mais il parut bouleversé de ces retrouvailles. Il avait aimé Le Bas et il ne faut pas prendre au pied de la lettre la plainte qui, un jour, lui échappa: « Ce que cet homme a pu m'ennuyer, c'est inimaginable! »
Le choix d'Hortense avait été un bon choix. Comme devait l'être quelques années plus tard celui d'Ernest Lavisse, retenu par le couple impérial pour enseigner l'histoire à leur enfant. Ce même Lavisse qui devait ultérieurement diriger une Histoire de France, où figurent des chapitres si cruels pour Louis Napoléon Bonaparte. Faut-il en conclure que la famille n'eut pas toujours de la chance avec ses précepteurs? On peut tout aussi bien penser qu'elle avait plus d'ouverture d'esprit que certains d'entre eux n'avaient de reconnaissance et de fidélité.
Le Bas parti, la phase d'éducation de Louis Napoléon sera terminée. Mais sa formation restera à parfaire. Ce sont les circonstances qui y pourvoiront. Les événements, mais aussi leurs conséquences...
Toujours est-il que lorsqu'on se penche sur toutes ces années, on perçoit combien vaine est la querelle sur la naissance de Louis Napoléon. Il est à l'évidence le fils d'Hortense... et de Philippe Le Bas, tant il est clair que ce sont là les deux personnes qui ont le plus contribué à en faire ce qu'il est devenu.
Sous la direction de Le Bas, Louis Napoléon aura accompli des progrès manifestes. Admis au Gymnasium « humanistique » d'Augsbourg — ville où il résida, pendant la période scolaire, en compagnie du précepteur et de son épouse —, il ne cessera d'y améliorer son
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