Louis Napoléon le Grand
plus indulgentes. Elles démontrent qu'Hortense ne se fait guère d'illusions sur l'image que l'empereur s'attache à donner de lui du fond de son exil: « L'oisiveté de Sainte-Hélène lui a rendu une partie de sa lucidité d'intelligence. Comme il avait infiniment d'esprit, avec une entente complète du caractère des hommes, il a arrangé là-bas sa vie, sa défense et sa gloire, avec la coquetterie profonde d'un bon auteur de théâtre qui soigne son cinquième acte et surveille les dispositions de l'apothéose finale. »
Et cette image, pour artificielle qu'elle soit, il y a moyen de l'utiliser. Elle l'explique à ses fils: « Un nom connu est le premier acompte fourni par le destin à l'homme qu'il veut pousser en avant. »
On a bien lu: un nom connu, c'est un atout, un « plus ». Le bonapartisme, ça n'est pas une fin en soi. Et si l'on pense avoir mal compris, pourquoi ne pas continuer la lecture: « Dans notre disgrâce actuelle, incertains de ce que vous pouvez devenir, ne vous lassez pas d'espérer. Toujours l'oeil aux aguets, surveillez les occasions propices. Si la France vous échappait définitivement, l'Italie, l'Allemagne, la Russie, l'Angleterre vous présenteraient encore des ressources d'avenir. Partout, il se produit des caprices d'imagination qui peuvent élever aux nues l'héritier d'un nom illustre. »
D'où ce mode d'emploi, mélange d'angélisme et de cynisme: « Vous êtes princes, ne l'oubliez pas, mais sachez aussi sous quelle loi. Vos titres sont de date récente: pour les faire respecter, il faut vous montrer, avant tout, capables d'être utiles. » Ou encore: « Je vous l'ai dit, surveillez toujours l'horizon. Il n'est comédie ou drame qui, se déroulant sous vos yeux, ne puissent vous fournir quelque motif d'y intervenir comme un dieu de théâtre. Soyez un peu partout, toujours prudents, toujours libres, et ne vous montrez ouvertement qu'à l'heure opportune. »
Sensible à la leçon, Louis Napoléon croit donc sans doute moins à la cause de l'Empire, à l'avenir de sa famille, à la nécessité d'une sorte de restauration ou de revanche qu'il ne croit à sa propre destinée et à la mission dont il serait personnellement investi.
Et cette conviction, il l'a acquise dès ses plus jeunes années.
C'est là un point d'importance: car, à l'époque, sans même évoquer les doutes qui entourent sa naissance et qui peuvent lui retirer des appuis au sein de la tribu Bonaparte, il n'a aucune légitimité particulière à faire valoir pour reprendre le flambeau. Dans l'ordre de succession au titre de prétendant, il est déjà barré par le duc de Reichstadt, par Joseph, par son père, et encore par son propre frère, Napoléon Louis.
C'est dire que son ambition est d'une autre nature. En Napoléon, il trouve davantage un exemple et une référence que la source ou la raison d'être de sa mission.
Ce n'est peut-être pas parce qu'il est un Bonaparte qu'il veut conduire la France. Mais il assumera d'autant plus aisément la mission que la providence lui a assignée qu'il se trouve être un Bonaparte.
D'ailleurs, le Napoléon qu'il vénère, c'est déjà davantage celui du Mémorial que celui des Tuileries. C'est un Napoléon revu et corrigé. Revu et corrigé pour les besoins de la cause, mais surtout à la lumière de ses propres convictions.
Il n'est pas question pour lui de refaire l'histoire... mais seulement de l'interpréter dans le sens le plus utile. Il ne s'agit pas de voir les choses telles qu'on souhaiterait qu'elles aient été; mais plutôt de les remettre en perspective, en posant au départ que ce qu'elles ont de négatif était imputable à la malveillance des autres, et que l'oeuvre n'est restée incomplète que parce qu'elle fut interrompue. Ainsi la référence à l'Aigle peut-elle encore servir.
Et tout se passe comme si la famille avait flairé le caractère si individuel et singulier de sa démarche. Non seulement elle ne soutiendra pas ses initiatives qu'elle considérera comme autant d'incartades de nature à menacer la tranquillité de tous, non seulement elle n'acceptera jamais d'y croire vraiment, mais, qui plus est, une fois qu'il sera parvenu au faîte, elle continuera de le considérer comme une sorte d'intrus dont elle consentira à accepter avec avidité, sans vraie reconnaissance, mais comme avec condescendance, les prébendes.
Pour Louis Napoléon il s'agit donc moins de faire valoir un droit que d'accomplir une oeuvre nécessaire.
Cette
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