Louis Napoléon le Grand
mission, en forme de vocation ou de prédestination, il l'accepte plus qu'il ne la vit ou s'en exalte. Il l'assume. Elle s'impose avec tant de force qu'on a l'impression que, parfois, il laisse aller, sûr que de toute manière, et même s'il se relâche, ce qui est écrit devra forcément s'accomplir.
Napoléon I er , Charles de Gaulle sont des forces autonomes, créatrices, initiatrices. Ils veulent, ils créent, ils conduisent leur destin. Toute leur aventure naît de leur décision et de leur détermination. Louis Napoléon, lui, assume une obligation en quelque sorte exogène. On ne saurait dire qu'il la subit entièrement — car il sait décider, même si, sous la contrainte plus encore peut-être que par goût, il doit parfois emprunter les chemins les plus détournés pour obtenir ce qu'il a voulu. Mais, s'il n'est pas un simple instrument, il paraît obéir à une force qui le dépasse. Il est là par devoir, et n'a pas d'autre choix. Instrument du destin, il sait, il sent que, fatalement, les choses finiront par tourner dans le sens qu'il souhaite. Et il attend. Il attend son heure. Il attend l'heure.
Comment refuserait-il de croire à cette fatalité? Alors qu'il n'est jamais que le quatrième à pouvoir faire valoir ses droits, que ses chances sont minimes, pour ne pas dire inexistantes, la mort ou les défections vont lui ouvrir le chemin. Tout pourrait donc le conduire à se persuader que si cela s'est ainsi accompli, c'est parce qu'il a accepté son destin: parce qu'il est le seul à l'avoir vraiment accepté...
Au reste, cette conviction ne va pas sans moments de doute, voire de désespoir.
On en a gardé quelques traces poignantes. A son père, en février 1834, il écrit: « Le soleil de la gloire a rayonné sur mon berceau. Hélas! c'est tout... Je n'ai qu'un passé sans attrait et unavenir sans espoir. » Et à Vieillard, qui fut le précepteur de son frère et deviendra son confident, toujours par lettre, il en dit encore un peu plus: « Je sais que je suis tout par mon nom, rien encore par moi-même; aristocrate par naissance, démocrate par nature et par opinion; devant tout à l'hérédité et réellement tout à l'élection, fêté par les uns pour mon nom, par les autres pour mon titre; paré d'ambition personnelle dès que je fais un pas hors de ma serre accoutumée, paré d'apathie et d'indifférence si je reste tranquille dans mon coin... »
Mais ces instants d'incertitude sont vite passés, ces tentations d'abandon sont vite maîtrisées... Et s'il avait parfois besoin d'un dérivatif, Louis Napoléon le trouvait dans les voyages qu'il n'a pas tardé à multiplier. Et d'abord vers l'Italie.
***
Ce sont ces voyages qui ont été à l'origine du départ de Le Bas, lequel se plaignait de la fréquence et de la longueur des déplacements italiens décidés par Hortense, qui nuisaient de plus en plus à la qualité de son enseignement — et qu'une certaine dilection de Louis Napoléon pour l'archéologie ne pouvait suffire à justifier...
Il est vrai qu'au fil des années les escapades que toute la maisonnée entreprenait de conserve tendaient à se multiplier. Elles répondaient au souci d'Hortense de reprendre une vie mondaine et de rompre avec la relative austérité d'Arenenberg, de susciter quelques rencontres entre Louis Napoléon et son père, et de renouer avec toute la famille, en particulier, avant son décès, avec Madame Mère.
Et puis, l'Italie était restée sensible à l'emprise des Bonaparte, dont le souvenir demeurait partout présent. Comme, de surcroît, le Vatican avait, semble-t-il, oublié les quelques avanies qui lui avaient été infligées sous l'Empire, on y était plutôt bien reçu. Pourquoi n'en aurait-on pas profité?
Louis Napoléon retrouve ainsi en Italie les traces d'une splendeur passée, l'occasion de rencontres qui pourront lui servir plus tard, et un dérivatif à la vie parfois lugubre que lui a imposée Le Bas; mais il y découvre aussi un terrain propice à toutes les exaltations politiques et à toutes les aventures, car ce pays est, à l'époque, un véritable bouillon de culture.
C'est en Italie, précisément, au lendemain de la révolutionfrançaise de juillet, que se situe un épisode historique qui aurait pu n'être que tragi-comique, mais qui tourne à la tragédie du fait de la mort de son frère, Napoléon Louis, dans des circonstances jamais éclaircies.
La triste affaire de Forli, dont il s'agit, n'est pas généralement
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