Louis Napoléon le Grand
la plus éclatante de ce nouveau cours des choses.
Un nouveau cours qu'ils vont longtemps symboliser tandis que les Rothschild incarnent l'ancien. Entre ces derniers et Louis Napoléon, aucun rapprochement spontané n'est possible : il y a le poids du passé — celui de l'Histoire, celui d'événements politiques plus récents —, il y a aussi une différence radicale de conception sur le rôle qui revient au système bancaire et sur les méthodes que ce système devrait désormais adopter... En Angleterre, Louis Napoléon s'est passionné pour l'histoire de Nathan Rothschild, celui des frères qui tenait la place de Londres. La puissance de cette famille l'a fasciné. On lui a expliqué que les Rothschild avaient leur propre système de courrier, qu'ils fondaient leur fortune sur des emprunts d'État, qu'ils finançaient ainsi la plupart des gouvernements européens, et qu'ils n'avaient pas été pour rien dans la chute de Napoléon I er .
Ne pouvant compter sur James de Rothschild, aussi prudent à l'égard du régime que circonspect face aux idées modernes, Louis Napoléon doit trouver d'autres courroies de transmission dans le monde bancaire, et des hommes prêts à épouser ses idées.
Paradoxalement, les frères Jacob et Isaac Pereire — qui seront ses protégés et les meilleurs serviteurs de sa politique — n'ont pas toujours eu de mauvais rapports avec les Rothschild. Isaac Pereire a obtenu, par exemple, la participation de James dans la société qu'il créa pour construire et exploiter la ligne Paris-Saint-Germain. Mais la cordialité des relations ne résistera pas à la montée des Pereire.
C'est que le Crédit mobilier ne se propose pas seulement de rendre à ses clients les services bancaires habituels; il a pour objectif de drainer une épargne nouvelle grâce à des émissions d'obligations dont le produit servira à financer des prêts aux entreprises. Il se propose également de commanditer directement les sociétés industrielles, en souscrivant leurs actions avant de les placer dans le public et de réaliser, avec les fonds ainsi recueillis, de nouvelles opérations.
Fort de ses nouvelles méthodes, qui lui valent bien entendu l'hostilité de la banque traditionnelle, l'établissement va connaître un immense succès, succès qui lui permettra de lancer sous la forme de sociétés de capitaux les entreprises les plus diverses:chemins de fer, compagnies maritimes, forges, mines, constructions, banques, assurances... Il prendra aussi pour règle de souscrire à tous les emprunts publics et de participer au financement des grands travaux.
Les Pereire avaient rêvé de voir leurs obligations, une fois émises, servir directement de monnaie. C'était plus que n'en pouvaient supporter les représentants du monde financier traditionnel, qui obtinrent du gouvernement le refus de l'autorisation espérée. En 1857, la crise financière qui affecte toute l'Europe, et dont la fin de la guerre de Crimée est le signal, marque le début de leurs difficultés. Attaqué de différents côtés, victime d'une expansion trop rapide, contraint à des augmentations de capital qui l'épuisent, le Crédit mobilier se trouve au bord de l'effondrement en 1867. Il sera alors profondément remanié, à la faveur de l'éviction des deux frères Pereire, qui auront pu néanmoins se reconvertir.... dans la politique: ils ont été élus députés, l'un en Gironde, l'autre dans les Pyrénées-Orientales. En fait, quelques années plus tôt, devant les difficultés croissantes de l'établissement et le retour en force des financiers orthodoxes, Louis Napoléon avait déjà opéré un rapprochement avec les Rothschild qui, dans leur château de Ferrières, recevront en 1862 la visite de l'empereur.
A cette occasion, le Monde illustré nous donne à voir un Louis Napoléon vêtu d'un habit de fantaisie de couleur sombre, assez semblable par la forme au costume breton. Le drapeau flotte sur le château ; l'empereur visite toutes les pièces, admire les tapisseries, les collections, parcourt les écuries, le parc, et peut-être même — bien que l'histoire ne l'indique pas — les cuisines souterraines installées à un kilomètre du château et reliées à lui par le rail. Le repas est somptueux, présenté dans un service de porcelaine de Sèvres signé de Boucher. Après la chasse, les habitants des villages voisins, maires et curés en tête, se rassemblent dans la cour illuminée du château. Pendant la collation,
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