Louis Napoléon le Grand
les choeurs de l'Opéra de Paris chantent l'Hallali du faisan de Rossini, dirigé par le compositeur lui-même. On n'avait rien laissé au hasard.
Ému et flatté, Louis Napoléon, suivant l'usage allemand des grandes familles, planta là un arbre, un cèdre immuable et impérial qui traversa trois guerres et qui existe encore aujourd'hui.
Pourtant, en dépit des apparences, ce sont bien les Pereire qui ont gagné. Les techniques qu'ils ont mises en oeuvre se sontdéfinitivement imposées, et sont reprises par tous. De surcroît, leur participation à la réalisation de nombre des projets du régime aura été décisive.
Réplique du Crédit mobilier pour ce qui est de la terre et des immeubles, le Crédit foncier se constitue quant à lui par la fusion de trois banques foncières dont la création à Paris, Marseille et Nevers avait été autorisée par un décret du 28 février 1852. Favorisé par la loi de 1855 sur la transcription hypothécaire et le coup de fouet qu'elle donne aux opérations de crédit immobilier, le nouvel établissement, qui accorde aux propriétaires des prêts à long terme sur hypothèques, rend des services inestimables aussi bien dans le monde rural — il y joue le rôle d'un quasi-Crédit agricole — qu'auprès des propriétaires urbains, son action contribuant puissamment à la transformation des villes et à la relance du bâtiment.
Le crédit à court terme ne reste pas à la traîne: après le Comptoir d'escompte, qui date de 1848, on assiste à la création du Crédit industriel et commercial en 1859, du Crédit lyonnais en 1863, et de la Société générale en 1864, toutes ces nouvelles banques ne manquant pas à leur tour d'orienter l'épargnant vers les valeurs industrielles.
Au sommet du système, la Banque de France, qui absorbe les anciennes banques départementales et multiplie parallèlement le nombre de ses succursales, développe ses techniques de régulation, l'État se réservant le droit d'autoriser ou d'interdire les émissions de valeurs.
L'ensemble fonctionne avec une exceptionnelle efficacité: l'épargnant qui apporte son argent à une banque de dépôts peut recevoir en échange des titres de société émis sous le patronage des banques d'affaires. S'il souhaite s'en défaire, il les négocie à la Bourse.
Le climat de confiance, les encouragements de l'État, la modernisation du système bancaire, le spectacle de leurs premiers effets concrets, tout cela se conjugue pour aboutir à des résultats dépassant toutes les espérances. Les épargnants se mobilisent en masse, souscrivant aux émissions d'obligation, aux emprunts d'État, aux emprunts des villes. La société française, qui ne s'était jusqu'ici vraiment intéressée qu'à la terre, se précipite sur les nouvelles valeurs mobilières.
Évidemment, tout cela ne va pas sans incidents de parcours etsans excès. Dès 1852, Troplong notait : « Les créations ferroviaires quand elles ne sont pas échelonnées avec mesure, encombrent la place de valeurs aléatoires; elles surexcitent la passion du jeu et font dégénérer les combinaisons du crédit en aliment pour l'agiotage. Le Gouvernement [...] ne veut pas être souillé, même de loin, par ces choses mauvaises. » De son côté, Louis Napoléon a parfois manifesté de l'humeur: c'est ainsi qu'il félicita l'auteur d'une pièce à succès, la Bourse, pièce où l'on décrivait sans aménité les profiteurs du système et dont l'empereur tint à faire savoir qu'elle exprimait ses propres sentiments.
Au total, cependant, l'actif l'emportait largement sur le passif: « Chaque année, a noté Leroy-Beaulieu, nos titres de rente descendaient dans une couche nouvelle et plus profonde de la population, on ne peut nier que ce fut en partie l'effet de ce système de souscription nationale. »
Ce qui est sûr, c'est qu'entre 1851 et 1870 la circulation fiduciaire aura triplé. La Bourse de Paris aura connu une expansion foudroyante et se sera imposée de surcroît comme le principal marché des grands emprunts d'État. Alors qu'en 1851 on y cotait 118 valeurs pour un montant global de 11 milliards, les chiffres seront passés en 1869 à 307 valeurs pour un total de 35 milliards de francs.
Ainsi, l'une des idées chères à Louis Napoléon l'avait emporté: l'argent n'est plus considéré comme chose honteuse mais comme un instrument du développement économique destiné aux entreprises. Les efforts en leur faveur ne se limitent pas à cela. En
Weitere Kostenlose Bücher