Louis Napoléon le Grand
Empire a commencé par une révolution du crédit. Révolution dans les comportements et révolution dans les procédures.
On aurait tort de s'en tenir à la contemplation morose du revers de la médaille: la spéculation, l'agiotage, l'affairisme, la corruption, les enrichissements fulgurants existent et sont souvent scandaleux. Difficilement évitables aux débuts d'une époque qui est si radicalement différente des précédentes et dont les règles nouvelles ne peuvent s'écrire que très progressivement, ces excès sont la contrepartie de changements dont les effets seront étonnamment, somptueusement, positifs.
« Enrichissez-vous ! » avait dit Guizot. « Investissez ! » lui répond Louis Napoléon. Ce n'est pas du tout la même chose. Si certains effets pervers du nouveau mot d'ordre peuvent ne pas valoir mieux que ceux de l'ancien, l'exhortation impériale — elle — va dans le sens d'un enrichissement, non pas seulement individuel, mais national, qui n'a connu jusqu'ici aucun exemple.
On aurait tort également d'engager un vain débat sur l'ampleur des mérites réels du régime et de son chef. L'un et l'autre ne sont pour rien dans la découverte des mines d'or de Californie, en 1843, et d'Australie, en 1851; le fait que c'est vers la France qu'afflue 44 p. 100 de cet or est tout de même significatif. Il est vrai aussi que les progrès des sciences appliquées, du machinisme et des moyens de communication vont produire leurs effets dans bien d'autres pays; encore fallait-il, pour ce qui concerne la France, saisir l'occasion offerte par ces progrès techniques, en créant le climat de tranquillité et de garantie contre les risques que réclament les investissements. Il est en tout cas indéniable que les capitaux ont d'emblée repris confiance : la rente3 p. 100 qui était tombée à 32,5 en 1848 et qui, à la veille du coup d'État, en était à 54, est remontée à 86 dès 1852. Enfin, force est de reconnaître que, même s'il n'est ni un économiste ni un spécialiste des finances, Louis Napoléon, dans le cadre de son projet de « nouvelle société », a été le premier et le plus ardent défenseur de cette idée neuve et porteuse d'avenir que le développement du crédit et du capital passe par leur démocratisation.
L'empereur sait qu'il y a de l'argent disponible. Il mesure, d'autre part, tout ce qu'il y a à accomplir: des infrastructures désuètes ou insuffisantes à rénover, un outillage ancien et dépassé qu'on doit remplacer sans retard, à l'heure où tant d'inventions ou de découvertes, dans les domaines les plus divers — l'électricité, la traction à vapeur, la chimie, la fabrication de l'acier... — attendent encore des applications industrielles trop longtemps différées. Il en conclut qu'il faut impérativement trouver le moyen de faciliter la rencontre de l'argent et des entreprises privées ; que cet argent doit être mis au service de ce programme de travaux publics dont il ressent l'urgence et la nécessité.
Or, le système traditionnel du crédit ne peut répondre à cette attente, incapable qu'il est d'attirer et de mobiliser toute l'épargne disponible. La collecte de cette épargne enregistre des progrès, liés aux nouvelles circonstances politiques, mais ce léger mieux n'est pas à la mesure du problème. Les banques qui dominent le marché s'accommodent de leur sclérose : elles travaillent avec une clientèle restreinte, évitant le risque et manquant visiblement d'ambition.
Ce qu'il faut — et l'empereur retrouve là l'inspiration saint-simonienne que certains de ses proches se chargent d'entretenir —, c'est constituer des sociétés de capitaux faisant appel à l'ensemble du public. Puisant dans les réserves de l'ensemble des catégories sociales, et multipliant le nombre de leurs associés, ces établissements financiers nouveaux permettront de passer la vitesse supérieure.
En clair, il faut démocratiser le système, se tourner vers le petit épargnant et le faire participer à l'oeuvre commune. Il ne sera plus nécessaire d'être riche pour contribuer à la croissance économique et financière et pour en partager les fruits.
Ces changements inouïs, l'État, sous l'impulsion de Louis Napoléon, va leur fournir un cadre législatif et réglementaire adapté. Pour le reste, il encouragera, il incitera, il persuadera...
En novembre 1852, les frères Pereire créent le Crédit mobilier, première des grandes banques d'affaires, et illustration
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