Louis Napoléon le Grand
qu'à l'insuffisance des moyens destinés à le mettre en oeuvre. Le Général devait confirmer ce point de vue sans aucune équivoque, lors de la célébration déjà évoquée, du centenaire de Solferino, en légitimant avec solennité le choix même de Louis Napoléon : « ... Nos deux pays s'étaient trouvés ensemble les champions d'un principe aussi grand que la terre, celui du droit d'un peuple à disposer de lui-même dès lors qu'il en a la volonté et la capacité [...]. Depuis cent ans, toute une époque en aura été marquée. Sans doute est-il arrivé que ce grand but ait servi aux États ambitieux pour justifier les abus de leur force [...]. Mais il reste que l'organisation du monde ne saurait avoir d'autre base, à moins que l'homme soit finalement livré aux dictatures totalitaires. C'est la gloire de l'Italie de l'avoir prouvé en 1859. C'est la gloire de la France de l'avoir, en même temps, démontré. C'est la gloire commune de vos troupes et des nôtres d'avoir, ensemble, fait triompher cette loi nouvelle sur le champ de bataille de Solferino. »
Il existe d'évidentes raisons à l'ambiguïté des jugements portés sur les résultats de l'action extérieure du second Empire. Louis Napoléon ne trouva pas dans son armée les moyens nécessaires aux légitimes ambitions de sa politique. Cette politique, il était trop isolé pour la mener à bien.
Le caractère exceptionnel du destin de la France, il fut le seul à en avoir vraiment conscience. Il n'en a que plus de mérite d'avoir annoncé l'oeuvre à construire, si l'on ne veut pas admettre qu'il en a jeté les fondements.
VII
LE RÉNOVATEUR
Dans le discours de Bordeaux, Louis Napoléon avait dit son projet pour la France. Il ne s'était pas contenté de faire rêver les Français: il leur avait détaillé, par le menu, ses intentions et ses espoirs. Sans doute le pays avait-il surtout retenu de son propos ce qui avait trait au problème de la forme du gouvernement : il avait en cela quelque excuse. Pourtant jamais encore un discours politique n'avait dessiné avec autant de netteté les contours de l'action future. Et jamais plus probablement un homme public ne parviendrait à accorder si parfaitement et si durablement ses actes avec ses paroles.
On avouera d'ailleurs ne pas savoir ce qui est le plus remarquable : les résultats de la politique conduite par Louis Napoléon ou son exceptionnelle fidélité aux principes qu'il avait posés et aux lignes d'action qu'il avait tracées dès l'abord. Finalement, le plus étonnant est peut-être qu'une oeuvre aussi considérable n'ait jamais obtenu la consécration qu'elle méritait.
La France va connaître, en effet, en moins de vingt ans de règne, l'une des transformations les plus radicales de son histoire, peut-être la plus décisive de toutes. En 1852, elle était, comme on dit aujourd'hui, en état de sous-développement. Autour d'elle, des pays, des régions comme l'Angleterre, l'Allemagne rhénane, la Saxe, la Silésie avaient engagé leur révolution économique. Pour sa part, handicapée par son instabilité politique, retardée par la médiocrité de son personnel dirigeant, engoncée dans ses habitudes et ses préjugés, souffrant psychologiquement du contraste entre son passé si glorieux et son présent si médiocre,elle était restée au bord du chemin. Ce n'était qu'une juxtaposition de provinces repliées sur elles-mêmes ; un pays où l'on avait du mal à circuler, communiquer, échanger, du fait de l'insuffisance des routes, des canaux et du réseau ferroviaire dont l'essor avait été comme étouffé dans l'oeuf; un pays où l'esprit d'entreprise se limitait à la spéculation foncière, faute d'un système bancaire efficace et cohérent; un pays essentiellement paysan et rural, dont l'industrie chétive recherchait la tranquillité sous l'abri d'un protectionnisme frileux. Oui, telle est bien la nation dont, en dix-huit ans à peine, Louis Napoléon va faire la rivale directe de l'Angleterre pour le premier rang mondial. La nation qui, en 1855, et surtout en 1867, conviera le monde entier à des Expositions universelles où ses progrès économiques apparaîtront en pleine lumière.
Louis Napoléon n'a évidemment pas tout fait à lui seul. Ce serait absurde de le prétendre, mais moins absurde que de laisser croire, comme on l'a fait depuis cent vingt ans, que l'efflorescence de l'économie française entre 1852 et 1870 ne lui doit rien.
Il est plus que probable que,
Weitere Kostenlose Bücher