Louis Napoléon le Grand
villes éloignées » ?
Il est vrai que l'Académie des sciences, consultée, avait doctement considéré que l'idée de la réalisation d'un réseau général était totalement irréaliste. L'éminent savant qu'était Arago, qu'on avait retrouvé en 1848 au Gouvernement provisoire,s'était complu à noircir le tableau en mettant en garde les voyageurs contre les risques de fluxions de poitrine, de pleurésies et de rhumatismes qu'ils auraient à encourir dans les tunnels !
Ces théories imbéciles avaient déterminé jusqu'ici la politique des pouvoirs publics: le chemin de fer paraissait définitivement voué aux transports sur des trajets courts, d'intérêt purement local. On continuait donc le plus souvent à voyager en voitures attelées de chevaux, diligences ou malles-postes qui mettaient cinquante-cinq heures pour relier Paris à Lyon.
Louis Napoléon, comme tous les saint-simoniens, s'inscrivait en faux contre ces idées communément reçues. Au cas où l'on douterait de la force de sa conviction, il suffirait de rappeler que la plupart des décisions imposant une politique entièrement nouvelle en la matière furent prises pendant les quelques semaines de dictature qui séparèrent le coup d'État de la mise en place des nouvelles institutions. Les changements à promouvoir ne manquaient pas d'ampleur, et dès lors que l'opinion, abusée par tant de fadaises, y était probablement peu préparée, il fallait les imposer sans retard.
De fait, dès le 6 décembre 1851 — on n'avait pas perdu de temps! — Magne, le ministre des Travaux publics, convoquait les compagnies susceptibles de se voir concéder la construction d'un chemin de fer dans la banlieue. A la stupéfaction de leurs dirigeants, on ne leur laissait que vingt-quatre heures pour se décider. Et huit jours à peine après le coup d'État, on pouvait publier le décret prescrivant la construction, sur la rive droite de Paris, d'un chemin de fer de ceinture à l'intérieur des fortifications. Dès le 5 janvier, un autre décret autorisait la concession de la ligne Paris-Lyon.
Les principes de la nouvelle politique sont clairs et cohérents. De l'ancienne, on ne retient qu'un seul élément : c'est à l'initiative privée de prendre en charge la construction et la gestion des lignes. Mais l'État est désormais décidé à intervenir puissamment pour mettre les compagnies en mesure d'atteindre l'objectif général qu'il a fixé: doter la France d'un réseau organisé, homogène et d'une longueur suffisante. On fait passer à quatre-vingt-dix-neuf ans la durée des concessions, favorisant ainsi un amortissement rationnel des énormes investissements à réaliser. Pour permettre aux concessionnaires d'atteindre une surface financière suffisante, on les incite à se regrouper. Et pour leur assurer les moyensfinanciers indispensables, on garantit au capital engagé un intérêt minimum de 4 % pendant la moitié de la concession. Louis Napoléon se charge lui-même d'éliminer d'autres obstacles: il impose une simplification des règlements qui prévoyaient des clauses techniques aussi contraignantes qu'inutiles; il prend sur lui d'autoriser des importations de rails anglais, la métallurgie française se montrant décidément incapable, au moins dans un premier temps, de satisfaire à la demande.
L'empereur presse son monde: rien ne va jamais assez vite à son gré. De fait, conformément à ses espoirs, les résultats ne se font pas attendre.
Dès 1852, la jonction avec la Belgique est réalisée et la ligne Paris-Strasbourg achevée. En 1853, Paris est reliée par chemin de fer à l'Allemagne. A la fin de l'année, Magne peut déjà exulter et, dans un rapport à Louis Napoléon, s'exclamer: « Cette immense amélioration, accomplie en un an après la proclamation de l'Empire, est le témoignage le plus éclatant de la confiance inspirée au pays par l'Empereur et de l'incroyable développement du crédit public qui en a été l'heureuse conséquence. »
Les années suivantes marquent de nouvelles étapes de l'oeuvre entreprise: la ligne Paris-Marseille est prête en 1855; en 1856 sont ouvertes les lignes Paris-Tours, Bordeaux-Bayonne, Paris-Caen, Bordeaux-Toulouse. En 1858, la longueur du réseau a déjà quasiment doublé: 8 675 kilomètres de lignes sont en exploitation. Tout le territoire national est désormais innervé: Paris est reliée à tous les grands centres provinciaux, à l'exception de Brest qu'on n'atteindra qu'en 1860. Quant
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