Louis Napoléon le Grand
initiatives que prendra la III e République sont largement préparées, facilitées, anticipées. Il est absolument contraire à la vérité de soutenir que l'Empire, indifférent à l'évolution de l'enseignement public, a abandonné au clergé le soin d'assurer le minimum d'éducation compatible avec la stabilité sociale, et qu'il faut attendre 1870 — voire 1879 et le triomphe radical — pour voir enfin ouverts au peuple les chemins de l'instruction.
OEuvre originale, au demeurant, qu'Adrien Dansette a su caractériser: « Que l'oeuvre du Ministre ait été laïque, il serait difficile de le contester, mais on s'est à l'époque profondément mépris sur la signification et l'importance de cette laïcité. Rien n'était plus sain, n'était plus conforme aux traditions nationales que le programme de Victor Duruy. Il voulait faire des Français attachés à leur commune, à leur région, à leur métier, la tête libre, les pieds solidement fixés au sol et les mains armées de leurs outils familiers (à l'inverse de Jules Ferry qui, plus ou moins consciemment, forma des citoyens du monde et non pas des Bretons ou des Lorrains)... »
OEuvre que d'irréductibles résistances, dont l'empereur et Duruy ne purent venir à bout, entachent malgré tout d'une impression d'inachevé. De cette occasion partiellement manquée, Dansette, une fois encore, tire une judicieuse conclusion: « Sans doute, sous la III e République, les conceptions idéologiques antireligieuses de Jules Ferry et de ses successeurs n'eussent-elles pas prévalu au même degré si l'instruction obligatoire et gratuite avait déjà été organisée selon les principes réalistes de Victor Duruy. »
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Un système financier permettant la mobilisation de l'épargne, un enseignement largement rénové, il reste encore, dans le cadre de la politique de développement économique, à moderniser — ou à créer — des infrastructures adaptées. Et d'abord dans le domaine des transports où les perspectives ouvertes par le chemin de fer n'ont été jusqu'ici qu'imparfaitement exploitées.
La situation dont a hérité Louis Napoléon est franchement catastrophique. A la fin de 1851, la France compte en tout et pourtout 3 546 kilomètres de lignes en activité. Le retard sur l'Angleterre est patent : 10 000 kilomètres ont été ouverts outre-Manche, 23 000 au total en Europe, 38 000 dans le monde. Il n'est pas jusqu'à la Belgique qui, toutes proportions gardées, ne nous devance largement: ses 850 kilomètres de voies, pour un territoire vingt fois moindre, lui permettent de relier utilement ses ports d'Anvers et d'Ostende à Liège et à la frontière allemande. Rien de tel en France. Car il y a pire encore que le retard quantitatif: les lignes sont dispersées et ne constituent aucunement l'amorce d'un réseau cohérent. Rien ne paraît annoncer la réunion de ces tronçons épars : l'exploitation des lignes est curieusement répartie entre vingt-sept compagnies, qui n'ont pas de rapport entre elles et dont les dimensions modestes limitent la capacité d'investissement et, partant, les ambitions... Ces compagnies connaissent d'ailleurs souvent de sérieuses difficultés pour survivre. Les faiblesses du système sautent aux yeux quand on observe que les tronçons censés préfigurer la liaison Paris-Méditerranée sont répartis... entre cinq compagnies!
Souvent, les effets de la crise du milieu du siècle sont mis en avant pour expliquer que le développement du transport ferroviaire français soit demeuré si embryonnaire. En fait, c'est l'absence de volonté politique qui l'emporte sur toute autre raison. On a même l'impression, parfois, que les causes structurelles de ces retards ont été voulues, organisées.
Les gouvernements précédents ne paraissent pas avoir cru à l'avenir du chemin de fer. En 1837, les Chambres avaient bien été saisies d'un projet de réalisation d'un grand réseau ferroviaire. Mais Thiers, qui assumait alors la présidence du Conseil, avait tout fait pour doucher les enthousiasmes. N'avait-il pas affirmé « qu'il ne serait pas possible de construire plus de 20 kilomètres de lignes ferrées par an parce que la production nationale de fer ne suffirait pas à davantage »? N'avait-il pas renchéri en prévoyant avec aplomb que « les chemins de fer ne pourraient rendre quelques services que pour les transports à petite distance et qu'ils ne permettraient jamais d'établir des relations régulières entre des
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