Louis Napoléon le Grand
l'impératrice refusait d'admettre que l'Empire pût être compatible avec la liberté. Elle concédait que l'empereur, sans croire la chose possible pour lui-même, prévoyait de reporter sur son fils la tâche de rétablir l'ensemble des libertés politiques.
Mais voilà, la maladie vient. Il faut presser le pas. Lescirconstances s'y prêtent ; favorables d'abord, beaucoup moins par la suite. Toute l'histoire de ce qu'on appelle l'Empire libéral se trouve ainsi résumée.
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En 1860, on n'en est pas là, même si les mesures prises ne sont pas négligeables. Leur impact psychologique est immense. Pour les uns, c'est l'annonce d'une chute prochaine. Ainsi, Carnot déclare-t-il: « En abandonnant son principe, l'Empire se suicide. » Pour d'autres, la manoeuvre est habile. Gambetta, par exemple, estime que l'Empire vient de faire « un demi-tour à gauche ». D'autres restent circonspects et attendent la suite, c'est le cas d'Ollivier, qui déclare à Morny: « De ce jour, vous êtes fondés ou perdus. Vous êtes fondés si c'est un commencement, perdus si c'est une fin. »
C'est Morny, précisément, qui a définitivement convaincu Louis Napoléon que le moment était venu. Ses mobiles, il est vrai, ne sont pas ceux de l'empereur. Là où Louis Napoléon voit l'occasion de faire progresser un grand dessein, son demi-frère est guidé par le simple souci de s'adapter aux événements. Il pense qu'il vaut toujours mieux canaliser ce qu'on ne saurait empêcher. On ne peut éviter, selon lui, que les grognements du Corps législatif, qu'il perçoit depuis son perchoir, ne se transforment en grondements. Grondements que pourrait encore amplifier un résultat défavorable aux prochaines élections, prévues pour 1863. Il lui semble donc souhaitable de jeter du lest.
Au sein du Corps législatif, et dans une grande partie de l'opinion, les sujets de mécontentement ou d'inquiétude ne manquent pas. Le traité de libre-échange avec les Anglais — dont le principe n'a même pas été soumis aux députés — est perçu par certains comme un véritable coup d'État commercial ; les patrons de la métallurgie et du textile entretiennent une véritable agitation, excitant sans relâche les représentants des circonscriptions concernées. Quant à la politique italienne, elle suscite de plus en plus d'appréhension de la part des milieux catholiques, que la perspective de l'unité de la péninsule mobilise beaucoup moins que le souci de maintenir les prérogatives du pape dans ses États. Or, on n'en prend guère le chemin ; pourquoi dès lors accepter ces pertes en vies humaines, qui se chiffrent en dizaines de milliers... et 500 millions de dépenses, si les résultats à attendre sont simanifestement contraires à ceux qu'on espère. Entre le régime et les forces catholiques conservatrices, les relations se tendent. Des évêques prennent publiquement le parti de Pie IX contre Louis Napoléon au point que, dans l'entourage de celui-ci, on envisage désormais très sérieusement de soutenir systématiquement les instituteurs contre les curés, ce qui va d'ailleurs se passer. A gauche, l'autre opposition, renforcée par le retour massif des proscrits, reprend du poil de la bête, mais n'envisage pas une seconde de combler le vide créé, à droite, par d'éventuelles défections.
Le Corps législatif est à la fois le réceptacle et le diffuseur de tous ces mouvements d'insatisfaction. Au début de 1860, il exprime — avec l'aide inattendue de Fould — la volonté d'obtenir une réduction des dépenses militaires et, plus généralement, l'extension de son contrôle financier. Les débats, notamment budgétaires, deviennent autant d'occasions d'allusions, d'interrogations, et de critiques à peine voilées qui, avant la lettre, prennent l'allure de véritables interpellations.
La session de 1860 est particulièrement difficile. Elle culmine avec un vote qui surprend : lorsqu'est proposée la ratification de l'élection, à l'occasion d'une consultation partielle, d'un candidat officiel qui avait battu un clérical, il ne se trouve que 123 voix contre 109 pour satisfaire à ce qui aurait dû n'être qu'une formalité.
Dès lors, Morny s'active. Il propose à Louis Napoléon un train de décisions dont il attend qu'elles calmeront le jeu. Des modifications à apporter au règlement du Corps législatif donneraient aux députés le droit d'amendement et le droit d'interpellation, et prévoieraient la faculté pour
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