Louis Napoléon le Grand
aucun danger particulier, ne quitte pas le sol français, et les communications avec la métropole sont faciles. Pourtant, il fait plus encore: il rédige son testament, le 24 avril. Et le ton pathétique du propos qu'il adresse à son fils confirme la conscience qu'il a de la gravité de son état : que son fils « n'oublie jamais la devise: "Tout pour le peuple français". »
Il poursuit : « Le pouvoir est un lourd fardeau parce que l'on ne peut pas toujours faire le bien qu'on voudrait et que vos contemporains vous rendent rarement justice ; aussi faut-il pour accomplir sa mission, avoir en soi la foi et la conscience de son devoir. »
Puisqu'il lui reste si peu de temps, son devoir est d'aller vite et de réaliser plus rapidement que prévu ce qu'il avait choisi d'accomplir sans excès de précipitation. C'est probablement la première, et la principale conséquence de la maladie de l'empereur. Loin d'affaiblir sa détermination, elle la renforce. D'autant que, pour lui, désormais, il ne s'agit pas seulement de parachever une oeuvre à soumettre au jugement de la postérité, mais aussi d'affermir le trône qu'on va laisser à un successeur, si jeune encore. De cet affermissement de sa volonté, on trouve la preuve dans le fait que tout ce qu'il entreprend dans le sens de ce qu'onappelle la libéralisation relèvera de sa seule initiative, contre le sentiment et l'avis de ses proches et de son entourage. Sa solitude est plus grande que jamais après 1865 : car, des deux hommes qui auraient pu l'aider dans cette voie un, Morny, est mort, l'autre, Napoléon Jérôme, a achevé de se déconsidérer.
La deuxième conséquence politique de la maladie, c'est que, face aux espoirs de toutes les oppositions qui croient pouvoir se préparer à la curée, Louis Napoléon est confronté à des difficultés encore plus grandes qu'auparavant. Qu'ils espèrent ou redoutent ses initiatives, partisans présumés et adversaires déclarés vont considérer ses gestes les plus réfléchis comme autant de concessions et de preuves de faiblesse. L'empereur n'en aura que plus de difficultés à tenir ferme le gouvernail. Quoi qu'on en ait dit, l'immobilisme lui eût probablement causé moins de difficultés.
Reste à s'interroger sur la troisième conséquence potentielle : les capacités personnelles de l'empereur sont-elles affaiblies? Nombre d'observateurs, parmi les plus indulgents, estimèrent que, si l'intelligence de l'empereur ne fut pas affectée, il n'en alla pas de même de sa volonté.
On pourrait se contenter d'opposer à de telles affirmations le fait qu'en 1860, au moment où se situerait l'inflexion du régime, Louis Napoléon se trouve dans la force de l'âge et que sa condition physique est plus qu'acceptable; ou encore, que c'est beaucoup plus tard que ses crises seront traitées au chloral, avec les effets de somnolence apathique que provoquera ce traitement. Mais le point important, c'est que tous les témoins s'accordent à reconnaître qu'il a toute sa tête. Certes, au fur et à mesure que la douleur se fait plus présente, plus lancinante, plus fulgurante, il a tendance à négliger volontairement l'accessoire pour s'en tenir à l'essentiel.
Émile Ollivier qui, à partir de 1867, est en contact permanent avec Louis Napoléon note que : « L'Empereur est évidemment ignorant des choses et ne s'en préoccupe pas [...]. C'est la confiance personnelle qui l'entraîne, et entraîné, pour le détail, il laisse faire ceux qu'il écoute. » Quitte, relève-t-il, à prétendre ensuite « qu'on l'a trompé ». Ce disant, Ollivier pense à Rouher. Et, pensant à lui, il se laisse probablement conduire par la haine qu'il voue à un homme qui, c'est vrai, joue alors un rôle considérable, se présente comme un rival encore heureux, et constitue le dernier obstacle sur sa route vers le pouvoir.
Si l'on peut admettre cette description d'un Louis Napoléon rassemblant ses forces sur les questions principales, par quelle aberration pourrait-on le considérer comme dominé par les événements et par son entourage? Qui ne s'aperçoit que, s'il a parfois un moment de faiblesse, il sait, ensuite, reprendre en main ce qu'il a provisoirement lâché, notamment dans le domaine de la politique intérieure dont il a toujours conservé la maîtrise? Dira-t-on jamais assez que tout ce qu'il a fait et va faire le sera contre ceux qui sont supposés le « tenir » ? Ne faut-il pas dès à présent reconnaître que cet homme,
Weitere Kostenlose Bücher