Louis Napoléon le Grand
On s'arrache les comptes rendus des séances.
Tout le monde sent bien; aussi, que le processus est à son début, et que les mesures prises n'auraient guère de sens si elles demeuraient isolées. L'équilibre du système ancien a été rompu : reste à donner son équilibre au système nouveau. Pour l'heure, en tout cas, faute d'un gouvernement susceptible de jouer le rôle de fusible, c'est l'empereur lui-même - ou plutôt, sa politique — qui se trouve en première ligne, exposé aux coups. Et les coups ne manquent pas. D'autant que l'expédition mexicaine est loin de ravir les deux Chambres. Tous les prétextes sont bons pour en exprimer de l'humeur.
On a déjà évoqué à ce propos l'affaire Cousin-Montauban qui vit s'opposer Louis Napoléon et le Corps législatif et qui donna la mesure de l'influence que pouvaient exercer désormais les parlementaires.
Devant l'ampleur des réactions hostiles au projet d'une dotation annuelle accordée au comte de Palikao, les ministres — relayés d'ailleurs par Cousin-Montauban lui-même - avaient proposé le retrait du texte. Louis Napoléon ne voulut d'abord pasen entendre parler. Il fit publier dans le Moniteur, le 23 février 1862, une lettre à Cousin-Montauban où il exprimait son irritation, prenant tout cela de haut et annonçant le maintien du texte : « Les grandes actions sont le plus facilement produites là où elles sont le mieux appréciées et les nations dégénérées marchandent seules la reconnaissance publique. »
On sait que rien n'y fit. Louis Napoléon, pour la première fois, se trouvait confronté à une alternative peu réjouissante : se soumettre ou dissoudre. Il préféra laisser la législature aller à son terme, abandonnant le dernier mot au Corps législatif.
La dissolution, beaucoup l'attendaient cependant, depuis le fameux décret de 1860, considéré comme un simple prélude. Toutes les dénégations de Billault avaient été impuissantes à en dissiper l'illusion... Et pourtant, pouvait-on raisonnablement dissoudre pour 50 000 francs par an à accorder au comte de Palikao, pour une affaire à la fois dérisoire et contestée?
Le changement, Louis Napoléon souhaite en fait le conduire à son rythme: il importe donc que les élections aient lieu à leur heure. Même si, apôtre d'une évolution rapide, Morny, en prononçant le discours de clôture de la législature, martèle ses arguments : « Un gouvernement sans contrôle et sans critique est comme un navire sans lest. L'absence de contradiction aveugle et égare quelquefois le pouvoir et ne rassure pas le pays. »
Les élections du 31 mai 1863 furent certainement moins mauvaises qu'on ne les ressentit à l'époque. Les chiffres étaient loin de ceux de 1857, mais compte tenu du climat du moment et de la redoutable alliance qu'avaient constituée cléricaux et républicains — l'immorale coalition comme la baptise Persigny — les deux millions de voix des opposants et leur trentaine de sièges restaient finalement dans le domaine de l'acceptable. Comme l'a écrit Pierre de La Gorce, la nouvelle Chambre n'était pas vraiment une Chambre libérale, mais c'était déjà une « Chambre émancipée ». Face à l'union libérale qu'en désespoir de cause Thiers, Montalembert et Jules Simon avaient fini par constituer, Persigny n'avait, il est vrai, reculé devant aucun moyen: redécoupage des circonscriptions et circulaires quasi hystériques aux préfets. Dans le pensum laborieux qu'il s'inflige — genre difficile pour tout ministre de l'Intérieur quand les résultats à commenter ne sont pas aussi bons qu'espéré — il explique que « pour la première fois depuis dix ans, une coalition s'est formée entre opinions rattachéesau gouvernement antérieur et sur quelques points, elle a réussi à surprendre le suffrage universel ».
Il n'en paya pas moins de son poste un insuccès relatif qu'amplifiait le désastre électoral de Paris.
Un remaniement s'ensuivit: Billault prit le ministère d'État, flanqué de Rouher comme adjoint. Baroche devint ministre de la Justice. Autre fait notable, Victor Duruy se vit confier l'Instruction publique.
Ouvrant la première séance du Corps législatif au lendemain des élections, Louis Napoléon n'y fit pas mauvaise figure : « Le Corps Législatif, déclare-t-il, a été renouvelé pour la troisième fois depuis la fondation de l'Empire et, pour la troisième fois, malgré quelques dissidences locales, je n'ai qu'à m'applaudir du
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