Louis Napoléon le Grand
résultat des élections. Vous m'avez tous prêté le même serment. Il répond de votre concours. »
Malheureusement, survient le décès brutal de Billault, créant un vide difficile à combler. L'empereur en fut doublement affecté; à titre personnel d'abord, et parce qu'il sentait bien qu'il perdait, dans la dure partie qu'il avait à jouer, un de ses plus précieux partenaires... Il s'en ouvrit à Eugénie: «Je suis profondément affligé de la mort de ce pauvre M. Billault, c'est pour moi une perte irréparable, surtout dans le moment actuel [...]. Je supprimerai, je crois, le Ministère d'État et je chargerai Rouher de toute la défense parlementaire. »
Celui-ci ne sera pas de trop. Thiers est revenu dans l'arène politique. En janvier 1864, il a prononcé son discours sur les « libertés nécessaires ». Désormais, il faudra compter avec lui. Comble d'infortune, Louis Napoléon va bientôt perdre Morny, qui s'éteint le 10 mars 1865, un autre collaborateur qui lui aurait été particulièrement utile, dans les temps difficiles qui s'annoncent. Il est vrai que va bientôt sonner pour Émile Ollivier l'heure d'entrer en scène...
***
Émile Ollivier ne ressemble à aucun autre homme public de son temps. C'est bien là le drame: lui qui devait représenter les générations nouvelles et les entraîner derrière lui, en apportant un sang neuf au régime, est en fait un homme seul.
Pourtant, Louis Napoléon ne s'est pas trompé sur son compte. L'homme de la synthèse à laquelle il rêve, c'est bien ÉmileOllivier: un républicain, un démocrate, mais libéré progressivement de tout lien d'allégeance, sensible aux aspirations populaires et prêt à adhérer au grand dessein de l'empereur.
« Le Bonapartisme, a-t-il déclaré, est le seul obstacle que la révolution ait su opposer à la réaction, de là sa popularité. Tout y est: la révolution, le peuple qui sont les principes. La réaction qui est le risque. Le Bonapartisme qui est une référence à ceux-là est l'ennemi de celle-ci. »
Cette conviction, Émile Ollivier se l'est forgée peu à peu. Elle ne repose sur rien de vil. On ne saurait douter de son profond désintéressement, de sa sincérité et de son courage.
Si le pouvoir seul l'intéressait, il aurait eu mille occasions d'y parvenir plus tôt. Lorsqu'il y accède, ses idées sont moins que jamais faciles à défendre, les comportements manichéens n'ayant rien perdu de leur vigueur. Il ne dévie pas pour autant de sa route, se résignant à passer pour un renégat aux yeux des uns, et pour un arriviste aux yeux des autres.
Henri Bergson, qui lui succédera à l'Académie française, trace de lui ce portrait:
« En toute circonstance, qu'on lui parlât du passé ou du présent, de ce qu'on faisait ou de ce qu'on pourrait faire, la même question revenait sur les lèvres de M. Émile Ollivier: où est le droit? Où est le devoir? Qu'exige, qu'eût exigé la justice? [...]
« A aucun prix il n'eût utilisé, même pour des fins pratiques les plus hautes, les parties basses de la nature humaine, la cupidité, l'égoïsme, l'envie. Il était l'artiste qui voudrait tout droit sculpter son idéal dans le marbre, sans passer par l'intermédiaire de la terre glaise où l'on se salit les mains... [...] Par-delà les partis, sa pensée allait à la France. »
Paul Reynaud n'a probablement rien compris au personnage quand il écrit : «Son tort, à lui, fut d'être au pouvoir lorsque l'heure fatale a sonné. S'il ne s'était pas rallié à l'Empire, s'il n'avait pas, comme nous disons aujourd'hui, participé trop tôt, Émile Ollivier aurait été l'un des grands hommes de la III e République [...]. Parce qu'à ce moment de l'histoire, il fut en haut de l'édifice, c'est lui qui fut foudroyé. »
En réalité, tout porte à penser que, fait comme il l'était, Ollivier a choisi de participer sans songer un instant à son intérêt personnel, mais par conviction et par devoir.
Il vient pourtant de fort loin. C'est un républicain de 1848, un vrai, un pur.
Après les journées de février, à vingt-trois ans, il s'est retrouvé préfet des Bouches-du-Rhône. Voilà donc un tout jeune homme, à peine sorti de l'adolescence, à la tête d'un département aussi turbulent dans une époque aussi confuse: on croit rêver... Les Marseillais eux-mêmes n'en reviennent pas. Il fait, en tout cas, de son mieux, parlant pour exalter les uns, calmer les autres, et tentant d'organiser les choses. Il
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