Louis Napoléon le Grand
les ministres à portefeuille de venir défendre leur politique dans l'enceinte du Corps législatif, sans que pour autant un vote défavorable puisse les contraindre à la démission.
Le Mémoire de Morny, remis entre les mains de Louis Napoléon, parvint à Walewski, qui ne manqua pas de le transmettre à Thiers, dont il avait quelque peine, décidément, à oublier le rôle de mentor. Thiers — fort de ce souvenir — suggéra plutôt de rétablir le droit d'adresse. Louis Napoléon retint cette suggestion, dont il n'est pas certain qu'on lui ait indiqué l'inspirateur.
Le 22 novembre 1860, il exposa aux ministres les réformes qu'il projetait. Ce fut à une voix près — celle de Walewski —l'unanimité contre le projet. Louis Napoléon décida de passer outre... Le 24 novembre 1860 fut publié le décret qui traduisait ses résolutions.
Première résolution : le droit d'adresse est rétabli. A l'ouverture de chaque session, le Sénat et le Corps législatif pourront délibérer et voter une adresse en réponse au discours du Trône prononcé par l'empereur. Les Chambres en débattront en présence des représentants du gouvernement, qui pourront donner toutes explications utiles sur sa politique et ses projets.
Deuxième décision: des ministres sans portefeuille, accompagnés des membres du Conseil d'État, viendront présenter et défendre les projets de loi devant le Corps législatif. Pour bien marquer l'importance et le sérieux de ce geste, ce sont trois personnalités particulièrement éminentes qui sont désignées: Baroche, Billault et Magne — un trio de choc.
La troisième innovation porte sur les conditions d'exercice du droit d'amendement, qui sont substantiellement élargies.
L'année suivante, deux sénatus-consultes compléteront ces décisions. Le premier, en date du 1 er février 1861, traite de la procédure de discussion devant les deux Chambres, et précise que le compte rendu sténographique intégral des débats sera publié au Moniteur dès le lendemain de chaque séance. Le second, pris le 31 décembre 1861 — sur les instances de Fould, dont les arrière-pensées sont évidentes —, a une portée encore plus considérable. Il modifie de fond en comble les procédures parlementaires en matière financière, dans le sens du renforcement du contrôle exercé par le Corps législatif: le budget ne sera plus voté en bloc par ministère mais par section. Surtout, le gouvernement n'aura plus le droit d'ouvrir par décret, pendant les vacances de l'Assemblée, des crédits pour dépenses extraordinaires.
Tout ce faisceau de mesures est évidemment de très grande conséquence, sur le plan pratique et politique. La vie parlementaire s'en trouve radicalement transformée. Rarement dans l'histoire, elle a atteint une telle intensité et une telle liberté dans l'expression. Émile Ollivier le constate avec ravissement : « Dans aucune Assemblée républicaine ou monarchique, les actes du Gouvernement n'ont été discutés avec autant de liberté et un tel éclat de talent. »
Dans cette affaire, le mérite de Louis Napoléon est d'autant plus grand qu'il n'ignorait certainement pas l'ampleur des difficultéssupplémentaires auxquelles il allait devoir faire face. De ce côté-là, il ne sera guère déçu.
La discussion de la première adresse, en 1861, permet l'expression de très vives critiques contre la politique italienne de l'empereur. En mars, sur le même thème, les choses vont encore plus loin : des amendements d'inspiration cléricale ne sont repoussés dans les deux Chambres que par des majorités inhabituelle-ment étroites : 158 voix contre 91 pour le Corps législatif, 79 voix contre 61 pour le Sénat.
La session de 1862 sera aussi agitée que celle de 1861. Plus que jamais, le débat budgétaire est l'occasion de traiter une à une toutes les questions d'actualité. Les trois ministres sans portefeuille suffisent à peine à la tâche, passant une bonne partie de leur temps à répondre à des questions qui ressemblent de plus en plus à de véritables mises en cause. Les critiques émises ne débouchent sur aucune sanction concrète; mais, paradoxalement, il semblerait que leur vigueur s'en trouve encore accrue, faute du garde-fou que pourrait constituer la perspective d'une mise en jeu effective de l'existence du gouvernement. L'opinion commence à s'intéresser aux travaux parlementaires : il y a de plus en plus de monde dans les tribunes du Corps législatif.
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