Louis Napoléon le Grand
le nommer [...] ».
Il est séduit. A vrai dire, Louis Napoléon, avec l'aide de sa mère et suivant fidèlement ses prescriptions, n'avait rien négligé pour ce faire. Auprès de Chateaubriand, et de tant d'autres, il a fait campagne, besogneusement. Comme un jeune homme qui veut se faire admettre dans le monde. Il correspond, félicite, commémore, console, courtise, flatte, envoie ses livres... Il recherche la considération, se crée et entretient des relations, se bâtit, jour après jour, une image.
Les lettres qu'il avait adressées au grand homme n'ont pas manqué de flatter celui-ci, qui ne s'en cache point en les reproduisant dans ses Mémoires d'outre-tombe: « Les Bourbons m'ont-ils jamais écrit des lettres pareilles à celles que je viens de produire? Se sont-ils jamais douté que je m'élevais au-dessus de tel faiseur de vers ou de tel politique de feuilleton? »
Alors, il se laisse aller à marquer quelque bienveillance pour ce jeune homme si déférent et au goût décidément si sûr. Déjà, le 19 mai 1832, il lui avait exprimé par écrit ses regrets d'avoir dû différer leur rencontre: « J'aurais été heureux de vous remercier de vive voix de votre obligeante lettre; nous aurions parlé d'une grande gloire et de l'avenir de la France, deux choses, Monsieur le Comte, qui vous touchent de près... »
Après son passage à Arenenberg, il ira encore plus loin. D'abord, il ne lui donne plus du « Monsieur le Comte », mais l'appelle « Prince ». Et le voilà comme au bord de l'allégeance: « Vous savez, Prince, que mon jeune Roi est en Écosse, que tant qu'il vivra il ne peut y avoir d'autre Roi de France que lui; mais si Dieu, dans ses impénétrables conseils, avait rejeté la race de Saint-Louis, si les moeurs de notre patrie ne lui rendaient pas l'étatrépublicain possible, il n'y a pas de nom qui aille mieux à la gloire de la France que le vôtre. »
***
Entre 1832 et 1837, trois événements vont marquer la fin de la jeunesse de Louis Napoléon et le début de sa vie publique: la mort du duc de Reichstadt, sa rencontre avec Persigny, qui sera le plus actif, le plus sincère et probablement le plus fidèle de ses compagnons, et, enfin, le décès de sa mère.
Contre le cours de la chronologie, on évoquera d'abord la fin d'Hortense. La mère de Louis Napoléon s'éteint dans ses bras, à cinquante-quatre ans, le 5 octobre 1837, dans la maison d'Arenenberg. La cérémonie funèbre, poignante, a lieu au village: « Arenenberg, le délicieux Arenenberg qui, note Vieillard, n'est plus qu'un temple désert d'où la divinité s'est retirée. » Le corps d'Hortense sera ensuite transporté à Rueil où il sera inhumé auprès de la dépouille de Joséphine. Flahaut, son ancien amant et Morny, leur fils adultérin, assisteront au service funèbre, mais pas Louis Napoléon, qui demeure un interdit de séjour.
La disparition de sa mère est pour lui un terrible déchirement. Plus encore, c'est le tournant de sa vie. Il est désormais seul, vraiment seul, face à son destin. « Jamais je n'ai si bien compris l'adoration que le prince avait pour sa mère, écrira l'un de leurs familiers. Il fait peine à voir. Il l'a embrassée tendrement, violemment, comme une épouse, comme une maîtresse. »
Elle ne sera plus là pour l'éclairer, le guider, le consoler, pour marquer par sa seule présence la confiance qu'elle place en lui. Envers son fils, elle a fait plus que son devoir. Elle l'a convaincu de son destin, lui en donnant quelques clés et quelques moyens. Elle lui a assuré, de surcroît, une première partie d'existence aussi heureuse que possible. Une existence aisée, et presque cossue. Grâce à Hortense, qui n'avait de la cigale que les apparences, il n'a jamais vraiment manqué de rien. Mais, paradoxalement, c'est peu après son entrée en possession d'un héritage confortable — 120 000 francs de rente — que va commencer sa quête éperdue de l'argent, lequel paraîtra toujours le fuir...
Que n'a-t-on d'ailleurs raconté sur les rapports de Louis Napoléon avec l'argent! On l'a présenté sinon comme une sorte de rapace, du moins comme un homme avide, en insistant à l'envi sur les demandes réitérées qu'il présenta à l'Assemblée au temps de saprésidence, ou sur le caractère plus que confortable de la liste civile qu'il s'octroya, au temps de l'Empire. On est même allé, sans la moindre preuve, et contre toute raison, jusqu'à l'accuser de s'être enfui... avec la
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