Louis Napoléon le Grand
caisse, comme un comptable indélicat, ou comme, un siècle plus tard, on ne sait quel dictateur sud-américain...
Rien n'est pourtant plus éloigné de la vérité que l'image d'un Louis Napoléon recherchant la fortune et profitant du pouvoir pour s'enrichir. Certes, il était du genre « panier percé ». Toute sa vie durant, il courut après un argent qui lui filait entre les doigts avec une rapidité stupéfiante. Ses besoins personnels n'avaient rien de démesuré, et le train de vie qu'il menait est toujours resté relativement modeste. Mais il voulait tenir son rang et, surtout, disposer de quoi financer les libéralités dont il était prodigue. De sa générosité il donna maintes illustrations, qui ne firent pas toujours l'objet de jugements objectifs et sereins: ne se trouva-t-il pas des gens pour critiquer, par exemple, la décision qu'il prit, avec Eugénie, d'utiliser à des fins charitables les 600 000 francs que la Ville de Paris destinait à l'achat d'un collier, à offrir à l'impératrice à l'occasion de son mariage?
En fait, ce qu'on serait presque tenté d'écrire, c'est qu'il avait avec l'argent des rapports empreints de naïveté. Quand il n'en avait pas, il en demandait. Très simplement et très publiquement. Les choses se firent toujours dans la plus complète transparence. Et le simple fait qu'il quémanda si souvent des ressources suffit à démontrer qu'il ne songea jamais à en détourner.
On comprend mieux ses rapports avec l'argent à la lumière d'une affaire qui lui fut longtemps reprochée, celle de l'annulation — par ses soins — de la dotation que Louis-Philippe avait accordée à ses enfants. Les biens en cause furent saisis, et dévolus à des institutions de bienfaisance ou d'intérêt général. Louis Napoléon ne pouvait pas ne pas mesurer, d'avance, l'inconvénient politique de sa décision. S'il l'a prise, c'est par conviction. D'abord, parce qu'il n'attachait pas à l'idée de propriété une importance absolue. Et surtout, parce que, comme l'a fort justement écrit Paul Guériot, il « considérait que ce qu'un chef d'État reçoit de la nation doit faire retour à la nation, et ce fut un principe auquel il est toujours resté fidèle ».
D'ailleurs, l'usage qu'il fit de sa liste civile interdit de prétendre qu'il mit le pays en coupe réglée... Et c'est à bon droit qu'ilpouvait, sur la route de l'exil, écrire à l'impératrice : « Je suis fier d'être tombé du trône sans avoir placé d'argent à l'étranger... »
Quand il mourut, sa fortune ne dépassait pas celle de bien des membres de la haute ou moyenne bourgeoisie et se composait d'ailleurs, pour une bonne part, de propriétés en Italie héritées de son père. Un décret du 7 septembre 1870 — on n'avait guère perdu de temps — instituera une commission chargée de réunir, classer et publier les papiers saisis aux Tuileries (plusieurs dizaines de fascicules furent ainsi diffusés). A partir de cette moisson, on n'aurait pas été fâché de pouvoir, fût-ce de manière informelle, mettre en accusation l'empereur déchu.
Il y a là une illustration de cette propension qu'ont les hommes des nouveaux pouvoirs, lorsqu'ils ont été trop longtemps à leur goût confinés dans l'opposition, à rechercher on ne sait quelles raisons criminelles ou délictueuses expliquant la désaffection dont ils ont été l'objet. Quoi qu'il en soit, cette commission Bloch-Lainé avant la lettre fit chou blanc. Elle ne trouva rien qui puisse donner lieu à scandale ou susciter l'indignation ou, a fortiori, provoquer une intervention de la justice.
On essaya bien de solliciter certains documents, mais les quelques « révélations » qu'on ne manqua pas de colporter furent rapidement démenties. C'est ainsi que, sur la base de « notes trouvées aux Tuileries », il fut affirmé qu'une banque anglaise, la compagnie Baring avait effectué pour le compte de l'empereur un placement d'une valeur de 28 millions de francs. Dès le 22 octobre 1870, ladite compagnie choisit la voie la plus solennelle à ses yeux — une lettre dans le Times — pour infirmer catégoriquement cette rumeur: « [...] A aucune époque, nous n'avons fait de placement pour le compte de l'Empereur, et [...] nous n'avons aucune valeur qui lui appartienne. »
Sans doute, on ne saurait dire que tous ceux qui entourèrent Louis Napoléon, après son arrivée au pouvoir, furent aussi désintéressés que lui. Il y en eut pourtant au moins un. C'est
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