Louis Napoléon le Grand
assez pour savoir que le désir que lui inspirait Eugénie ne serait pas éternel... Tout indique que, s'il l'a choisie, c'est parce qu'il avait la conviction qu'elle ferait une digne impératrice. Il est d'ailleurs significatif que, se détachant d'un interminable catalogue qu'un nouveau Leporello s'épuiserait à détailler, les deux êtres qui auront vraiment compté à ses yeux, en dehors de sa mère et de son épouse, sont des femmes avec lesquelles il n'eut probablement pas de relations charnelles, sa cousine Mathilde et sa confidente et filleule, Hortense Cornu.
Il aima d'autant plus Mathilde que la perspective de leur union n'avait pas pour seul effet d'enchanter un coeur sincèrement amoureux: elle lui semblait à la dimension de l'Histoire, d'une Histoire qu'il se promettait de recommencer. Las! après que l'idylle, fin 1835, se fut promptement et joliment nouée entre les deux jeunes gens qui s'étaient vus à Lausanne, puis fréquentés à Rome, le roi Jérôme, au lendemain de l'équipée de Strasbourg ne voulut plus rien savoir. Et, circonstance aggravante, Mathilde ne songea pas un instant à s'élever contre l'interdit. Il en resta à Louis Napoléon une terrible blessure, dont il se guérit d'autant moinsque la présence de Mathilde au retour des années glorieuses en empêcha la cicatrisation.
Ses relations avec Hortense Cornu furent, on le verra bientôt, d'une tout autre nature: une sincère affection, nouée dès l'enfance, assortie d'une admiration teintée de respect et même de soumission. Hortense Cornu, à la différence de tant de femmes qui voulurent lier leur sort au sien en misant sur sa réussite, se montra à son égard simplement exigeante et utile. Elle l'aida à travailler, à réfléchir, à tirer le meilleur de lui-même. Il sut vite qu'elle l'avait mieux compris que quiconque.
Cela dit, ses débordements amoureux, s'ils purent altérer sa santé, n'eurent guère d'influence sur ses choix politiques. Les femmes qui peuplèrent son existence jouèrent parfois un rôle relativement important: ce fut le cas pour Harriet Howard, qu'il connut en Angleterre et qui finança, pour partie, son retour et son élection à l'Élysée; et pour d'autres encore, comme Eléonore Gordon, qui prit une part non négligeable à l'affaire de Strasbourg. Mais s'il leur concéda une certaine place, il n'accepta jamais de céder à leur influence: rien de moins fondé que la thèse d'une Castiglione pesant sur sa politique italienne. Même Eugénie ne parvint sans doute jamais à influer sur le cours de sa réflexion et, moins encore, jusqu'à la guerre de 1870, à dicter l'un de ses choix. Et s'il lui délégua des responsabilités, c'est parce qu'elle était la souveraine qu'il avait donnée à la France, et non parce qu'il s'était laissé convaincre...
En revanche, sur ses partenaires, quelle emprise fut la sienne! Il a toujours attiré les femmes, et fait mieux que les séduire. Il les intrigue, les captive, les envoûte. Ce n'est pourtant pas le fait de sa beauté physique. Enfant, il avait un joli minois. Adolescent et jeune homme, ses traits ne manquaient pas de délicatesse et, à force d'exercice, il s'était musclé, endurci autant que faire se pouvait, se révélant bon cavalier et athlète émérite.
Mais la maturité l'a plutôt gâché. Au moment où commence sa vie publique, il paraît plutôt mal bâti, avec de petites jambes, un torse trop haut, des épaules larges et, surtout, un visage franchement disproportionné, marqué par un nez saillant.
Nos spécialistes actuels de la communication n'auraient pas considéré son « look » comme bien fameux.
D'autant que son regard est quasiment éteint, et même caché... C'est en prison, raconte Hortense Cornu, qu'il a pris,définitivement, cette habitude: « A la fin, je m'aperçus qu'il s'était habitué à tenir ses paupières mi-closes et à mettre dans ses regards une expression de vide et de rêve. » Mais, quand les trop lourdes paupières s'entrouvrent, les yeux bleu clair se révèlent fort beaux, et l'éclat du sourire peut être magnifique.
Lorsqu'il se rendra à Arenenberg, en août 1832, Chateaubriand le décrira comme « un jeune homme instruit, plein d'honneur et naturellement grave ». Dans le petit pavillon écarté qu'habite Louis Napoléon et où il s'est laissé entraîner, Chateaubriand voit « des armes, des cartes topographiques et stratégiques qui faisaient, comme par hasard, penser au sang du conquérant sans
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