Louis Napoléon le Grand
y eut « pronunciamiento », on comprit vite que de Gaulle n'avait pas pris le pouvoir à sa faveur...
Il existe pourtant, prenons le risque de le dire, certaines analogies entre les deux événements, et au moins un point commun: le « coup » n'est pas le fait générateur de la crise. Il est sa sanction logique et inévitable. Surtout, le peuple a fait son choix.
En 1958, la IV e République est déjà morte. En 1851, il n'y a déjà plus de II e République. Le régime en place n'en a plus que lenom. François Mitterrand, évidemment peu suspect de complaisance, s'exprime là-dessus mieux que d'autres:
« Réduire la rébellion de l'armée, la chute de la IV e République et l'avènement du général de Gaulle aux ambitions et aux intrigues du chef de la France libre serait donner d'aussi grands changements une explication mesquine et fausse.
« Un peuple tout entier ne bouge pas en ses profondeurs pour la chiquenaude d'un commando. Le mûrissement des révoltes a besoin d'autres soleils que la gloire en veilleuse d'un héros. »
Marx, en des termes différents, n'avait pas dit autre chose au sujet de Louis Napoléon:
« Il ne suffit pas de le dire, comme le font les Français, que leur nation a été surprise. On ne pardonne pas à une nation plus qu'à une femme le moment de faiblesse qui permet au premier aventurier venu de la violer. Le problème ne se trouve pas résolu par de semblables détours, il n'est que formulé autrement.
« Il resterait à expliquer comment une nation de 36 millions d'habitants peut se laisser surprendre par trois chevaliers d'industrie et, sans résistance, se laisser réduire par eux en servitude. »
Ainsi, présenter le coup d'État comme procédant de la seule ambition de Louis Napoléon ou d'un complot contre les libertés relève de la malhonnêteté historique.
En fait, comme l'a si bien dit Emile Ollivier, « le coup d'État a réussi parce qu'il était dans la majorité des esprits avant d'être réalisé dans les faits ». Et d'ailleurs, « qu'avait fait le Président? Détruisait-il la République? Non — Attentait-il à la souveraineté nationale? Non — Il maintenait la République, il ne faisait pas la moindre allusion à l'Empire, il rétablissait, dans son intégrité, la souveraineté nationale ; il proposait une solution et ne l'imposait pas: il interrogeait le peuple ».
Plus près de nous, enfin, Pierre Guiral a reconnu que « le coup d'État, s'il était un acte de violence [...] dénouait une situation sans issue ».
***
Prenant connaissance, à la fin du mois de décembre, des résultats du plébiscite, Louis Napoléon parut exprimer plus de soulagement que de joie. « La France a compris, déclare-t-il, que je n'étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de 7 millions de suffrages viennent de m'absoudre. »
Adrien Dansette a vu dans cette déclaration un aveu : « Prétendre qu'on a sauvé le pays et plaider coupable ! »
Il y avait sans doute, dans le propos de Louis Napoléon, une contradiction. Mais peut-être le président avait-il été moins coupable qu'il ne le croyait lui-même...
V
L'EMPEREUR
Au lendemain du 2 Décembre, Louis Napoléon s'est vite mis au travail. Il a gouverné, seul. Et ce n'est pas là une clause de style. Non seulement aucun contre-pouvoir ne vient l'arrêter sur sa route, mais, qui plus est, c'est lui-même qui prend les décisions, souvent contre l'avis de ses proches.
L'affaire, déjà évoquée, de la dotation des Orléans lui avait ainsi valu plusieurs démissions. Spolier Louis-Philippe et sa famille, c'était en effet plus que n'en pouvaient supporter Morny, Fould, Rouher et Magne, qui étaient ses ministres mais avaient été néanmoins impliqués, à un titre ou à un autre, dans la monarchie de Juillet. Louis Napoléon n'en eut cure. Il négligea même d'expliquer aux quatre réfractaires qu'ils se trompaient de régime, qu'ils ne tenaient leur pouvoir que de lui et n'avaient de compte à rendre qu'à lui. Sans doute, par son indifférence affectée, n'était-il pas mécontent de démontrer, et d'abord à son demi-frère, qu'on n'était pas là pour faire de l'orléanisme sans les Orléans, et qu'il y avait d'autres choses à entreprendre... De surcroît, c'était une bonne façon de procéder pour leur faire comprendre qu'il n'aimerait guère s'entendre dire un jour: qui t'a fait... roi?
De même, il ne suivit que son idée pour toute une série de décrets qu'il prit à une
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