Louis Napoléon le Grand
rebuffades. Il avait sans doute le coeurmoins empli de haine et l'esprit plus lucide ; lui du moins savait éprouver du respect pour son adversaire. Dès qu'il avait appris qu'un des fils de Hugo était toujours détenu, il avait ordonné sa libération. En 1852, il se rendit à une représentation de Marion de Lorme, qui était toujours à l'affiche de la Comédie-Française, applaudit la pièce et déclara : « Victor Hugo est vraiment un bien grand talent. »
A l'avènement de l'Empire, il transmit une première offre d'amnistie au poète qui répondit par des vers fameux, dont les quatre derniers sont dans toutes les mémoires:
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis! Si même,
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Scylla;
S'il en demeure dix, je serai le dixième;
Et s'il n'en reste qu'un je serai celui-là!
Et quand vint, précisément, le moment d'être le dernier, il revendiqua le droit à l'entêtement dans une déclaration rédigée à Hauteville House, et datée du 18 août 1859:
« Personne n'attendra de moi que j'accorde, en ce qui me concerne, un moment d'attention à la chose appelée amnistie.
« Dans la situation où est la France, protestation absolue, inflexible, éternelle, voilà pour moi le devoir.
« Fidèle à l'engagement que j'ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu'au bout l'exil de la Liberté. Quand la Liberté rentrera, je rentrerai. »
***
Dans le procès que l'histoire instruisit contre Louis Napoléon, ni les larges circonstances atténuantes qui paraissent devoir être reconnues à l'auteur du coup d'État, ni la mansuétude dont fit preuve le président n'auront été retenues comme éléments à décharge.
Le coup d'État — et surtout les conditions dans lesquelles il a été accompli — va déclencher, dans le court et le moyen terme, des haines inexpiables et interdire une réconciliation qui, au fil des années, devenait objectivement possible. Sur le long terme, il sera considéré comme ayant marqué son auteur d'une tache ineffaçable.
On peut soutenir, comme l'a fait Louis Girard, que le coupd'État a outragé « le sentiment du droit enraciné dans la bourgeoisie française » mais n'est-ce pas alors faire litière de la certitude, présente à bien des esprits, que, si Louis Napoléon avait quitté benoîtement ses fonctions en 1852, le pays se serait retrouvé au bord de la guerre civile? Doit-on lui faire grief du fait que son intérêt personnel rejoignait si évidemment l'intérêt général?
Adrien Dansette n'en estime pas moins que « pour les élites du pays [...], le coup d'État fut un double scandale : moral, car son succès parut le triomphe de la force sur le droit, intellectuel, car l'intelligence méprisait le pouvoir personnel [...]. En France, l'échec de la révolution de Février n'était pour la jeunesse cultivée qu'un temps d'arrêt dans la marche victorieuse de la démocratie libérale. Une dictature conservatrice, au siècle de la liberté, tel apparaissait le second Empire: un anachronisme. »
Fera-t-on scandale si l'on tente au moins de nuancer le propos?
Que le régime né du 2 Décembre marque un recul par rapport à la république de M. Cavaignac ou à celle dont rêvaient M. Thiers et ses amis, c'est déjà bien douteux... Mais que la « république » versaillaise puisse signifier, après l'Empire libéral, la reprise de la marche de la France vers des lendemains qui chantent, cela relève, cette fois, sans nul doute, d'une sinistre plaisanterie.
Ce qui est sûr — et éminemment regrettable — c'est que tout ce qui va s'accomplir désormais se fera en l'absence des républicains et d'une bonne partie des forces de progrès. C'est regrettable pour Louis Napoléon ; c'est surtout dommageable pour la France. Et la fraction de l'opinion qui se tiendra à l'écart en pâtira aussi.
Les tenants de la République et du progrès sont passés à côté d'une grande occasion. Ce ratage laissera des traces. Entre eux et la classe ouvrière. Entre eux et la France. Car il ne faut pas négliger l'essentiel, à savoir que, les 21 et 22 décembre 1851, les Français approuvèrent à une énorme majorité le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte. Le résultat du plébiscite, que celui-ci avait tenu à organiser sans retard, fut éclatant:
7 411 431 voix pour les « oui » contre 641 351 pour les « non », avec environ 1 400 000 abstentions...
Devant un tel résultat, on a bien sûr cherché
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