Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
d’occasions d’empoisonner le roi ! Et comment imaginer une femme si pieuse livrant son corps dans une messe noire ?
La Reynie propose que l’on retire du dossier tout ce qui concerne Mme de Montespan, et que la Chambre ardente juge les accusés coupables par ailleurs des crimes avérés.
Quant aux accusateurs de la marquise de Montespan, des lettres de cachet feraient d’eux des prisonniers oubliés dans les cachots les plus obscurs de lointaines forteresses.
Louis approuve.
Il exige le secret.
Et lui-même décide de s’y plier.
Mais il détourne le regard quand il croise Athénaïs de Montespan.
59.
Il regarde Mme de Montespan s’éloigner.
Elle vient, d’une voix furieuse et indignée, de lui reprocher d’avoir cru à toutes ces calomnies que ceux qui la jalousent et rêvent de l’éloigner du roi ont répandues contre elle.
Il l’a écoutée, debout en face d’elle dans cet appartement où ils s’étaient si souvent aimés.
Elle a crié.
Comment a-t-il pu, a-t-elle répété, au lieu de rejeter ces soupçons, ces aveux fabriqués, les lire, les entendre ? Pourquoi n’a-t-il pas dénoncé les manœuvres de Louvois, son ennemi ?
Il n’a pas répondu à Athénaïs de Montespan. Il n’a pas eu le geste qu’elle attendait, se rapprochant de lui.
Et il s’est écarté d’elle comme s’il avait craint qu’elle ne se jette sur lui et ne le poignarde.
Elle a deviné les raisons de ce pas en arrière.
Elle a eu un sourire méprisant. Puis elle a tourné le dos et elle a quitté la chambre.
Il l’a suivie des yeux.
Malgré son ample robe, elle ne pouvait dissimuler qu’elle avait, comme le murmurait Mme de Maintenon, « grossi d’un pied ». Elle n’était plus qu’une silhouette lourde, encore capable de faire illusion, de danser avec grâce comme elle l’avait fait lors de la réception de Marie Anne Charlotte de Bavière, qui allait devenir l’épouse du Dauphin. Mais ce n’avait été là qu’un fugitif moment de légèreté, comme le souvenir de ce qu’elle avait été.
Il la voyait comme une femme enlaidie, que neuf grossesses avaient déformée, dont Primi Visconti avait écrit – et quelle humiliation de lire cette lettre – qu’il avait vu la jambe de Mme de Montespan et qu’elle était plus grosse que son torse à lui.
« Je dois dire pour être juste que j’ai beaucoup maigri », avait ajouté Primi Visconti, comme pour souligner d’un trait d’humour l’énormité de ce qu’il avait vu et décrit.
Louis ne veut plus la regarder.
Il ne peut oublier les accusations dont on a accablé Athénaïs. Et de découvrir chaque jour un peu plus, sous le fard, les falbalas, la soie et les tissus lamés d’or, un corps qui s’affaisse et une peau qui se flétrit le blesse.
C’est comme si Athénaïs de Montespan lui renvoyait ce qu’il craint pour lui-même.
Car il sent bien que ses muscles se relâchent. Son ventre s’est encore gonflé. Et lorsqu’il voit, au souper, Athénaïs de Montespan engloutir viandes et fruits confits, boire et exiger que son verre soit toujours rempli de vin, il tente de résister à cette faim et à cette soif qui le saisissent.
Il réussit à éviter l’ivresse. Mais la faim le tenaille. Il mange sans cesse. On a découvert dans ses selles un immense ver, vivant, et dont les parties, sans doute, continuent de se lover dans ses entrailles, et c’est donc ce ver qui lui donne, aux dires des médecins, cet appétit jamais assouvi.
Il essaie, quand on l’ausculte, le sonde, d’oublier son corps, de n’être qu’une masse de chair insensible, un roi ne doit pas montrer la douleur.
Mais elle est là pourtant, qui ronge son ventre, son anus, quand, parfois plus de dix fois par jour, il s’assied sur sa chaise percée.
Et la douleur s’accroche, aussi lancinante, à ses mâchoires.
Les dents se brisent. Et les chirurgiens plongent leurs instruments de fer dans sa bouche, arrachent des racines, les chicots, entaillent les gencives.
Il ne crie pas.
Tel doit être le roi.
Mais il a, pour la première fois de sa vie, le sentiment que son énergie, sa force s’effritent, que le temps a commencé de le ronger.
C’est sans doute cela avoir plus de quarante ans, le moment où l’on marie son fils, Monseigneur le Dauphin, à cette jeune Marie Anne Charlotte de Bavière, disgracieuse, mais qu’il faut honorer comme la future reine de France.
Les réceptions se succèdent, à Villers-Cotterêts, où la Cour
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