Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
surintendante de la Maison de la Reine. Il l’a bien mieux connue et plus longtemps que Mlle des Œillets. Il baisse la tête, demande à La Reynie de poursuivre :
— … le maréchal de Luxembourg lui-même serait compromis comme ces dames dans une affaire de poison.
Est-ce possible ?
La Reynie précise que parmi les gens de qualité, habitués de la Cour et proches du roi, on fait commerce de philtres d’amour, de drogues miraculeuses qui rendent leur vigueur aux barbons, qui attachent un homme à sa maîtresse, un jeune amant à une femme qu’il comptait délaisser.
— La vie d’un homme est pratiquement en commerce, dit La Reynie. On se sert du poison dans les embarras de famille, pour ne pas partager un héritage ou le laisser dilapider.
Il a fait arrêter la Voisin ainsi que ses complices, un certain Le Sage, des prêtres, des abbés, Guibourg, Cotton et Marielle, adeptes de messes noires, que l’on célèbre sur le corps dénudé des dames qui le souhaitent pour voir réaliser leur désir.
La Voisin a cité d’autres noms, celui de la veuve d’un président au Parlement, dont le décès, dès lors, devient suspect.
Louis se tait, n’écoute plus. Il a l’impression que ce cercle maléfique l’étreint.
On a tué de nombreux rois dans ce royaume à coups de poignard, et si le temps était venu du poison ?
Il se lève.
— Que toute la lumière soit faite, dit-il, et que la justice punisse tous les coupables, quels qu’ils soient.
Il veut, ajoute-t-il, qu’on constitue pour juger ces criminels une cour extraordinaire de justice. Elle siégera à l’Arsenal. Un magistrat, Louis Boucherat, la présidera. La Reynie sera chargé, en même temps qu’un conseiller d’État, de l’instruction des affaires.
— Que rien ne vous arrête, dit-il.
Lorsqu’il reçoit peu après le maréchal de Luxembourg qui vient crier son innocence, il l’interrompt, dit d’une voix sèche :
— Si vous êtes innocent, vous n’avez qu’à aller vous mettre en prison. J’ai nommé les meilleurs juges pour examiner ces sortes d’affaires et je leur en laisse toute la conduite.
Il reçoit peu après Louvois qui accable le maréchal, accusé d’avoir demandé aux empoisonneurs la mort de sa femme, celle du maréchal de Créqui, et sollicité des sortilèges, peut-être des messes noires, pour obtenir le mariage de sa fille avec le fils de Louvois ! Le maréchal aurait signé un pacte avec Satan.
Et La Reynie ajoute qu’on suspecte Racine d’avoir empoisonné Mlle Du Parc, qu’il avait arrachée à Molière et qui était devenue sa maîtresse.
Louis s’en remet à la justice, à cette cour extraordinaire, qui en quelques semaines a fait emprisonner près de deux cents personnes, et qu’on surnomme la « Chambre ardente ».
— Nul ne doit être épargné, dit Louis.
Mais comment faire arrêter, condamner, Olympe Mancini, comtesse de Soissons, qui lui fut si proche ?
D’autant plus qu’il soupçonne Louvois de profiter de ces accusations pour se débarrasser de ses ennemis ou de ses rivaux.
Et c’est le cas du maréchal de Luxembourg, soldat victorieux, dont la gloire fait ombrage à Louvois. Et il en est de même pour Olympe, comtesse de Soissons, qui a refusé de marier sa fille au fils de Louvois.
Il est las. L’air est empoisonné. Il respire mal. Il faut se décider.
Il fait dire à Olympe qu’elle doit quitter le royaume, sous peine d’être arrêtée. Il lui achète même sa charge de surintendante de la reine. Et il l’attribuera à Athénaïs de Montespan, qui peut-être ainsi s’apaisera.
Après tout, la Voisin et ses complices, même les jambes brisées par les brodequins, n’ont jamais livré son nom.
Et il apprend que la culpabilité du maréchal de Luxembourg n’a pu être prouvée. Et peut-être cette affaire n’a-t-elle été grossie que par l’ambition, l’esprit de vengeance et de rancune de Louvois ?
Et cependant, il y a des coupables, cette femme, la Voisin, ses complices, ces prêtres dévoyés, ces avorteuses, ces tireurs de cartes et fabricants de poison, cette centaine de personnes que la Chambre ardente condamne, dont trente-six à mort.
Et parmi elles, la Voisin, qu’on mène le 22 février 1680 en place de Grève, où elle sera brûlée vive comme une sorcière qui refuse un confesseur et repousse le crucifix.
Louis frissonne.
Que cachent les perruques frisées des courtisans qui s’inclinent devant lui ?
Quelles
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