Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
toise.
— Mon bon oncle, lui lance-t-il, il faut que vous me fassiez une déclaration si vous voulez être dans mon parti ou dans celui de M. le prince de Condé.
Qu’il est plaisant de voir Gaston d’Orléans, le puissant, se troubler, se récrier, assurer qu’il est le plus dévoué des alliés de Sa Majesté.
— Mon bon oncle, poursuit Louis, puisque vous voulez demeurer dans mon parti, donnez lieu que je n’en puisse douter.
Il s’éloigne. Il est satisfait.
Le soir même, son premier valet de chambre, La Porte, l’assure qu’on murmure parmi les proches de Gaston d’Orléans que « les actions et le raisonnement du roi sont d’un homme de vingt-cinq ans ! ».
Il n’aura treize ans, âge de sa majorité, que dans six mois.
Il ne peut encore que subir, s’inquiéter, dissimuler sa colère, et paraître fort, en restant impassible.
Mais il lui faut se taire quand l’une après l’autre les délégations de parlementaires viennent réclamer la libération des princes emprisonnés, exiger le renvoi de Mazarin.
Et tout autour du Palais-Royal, les cris redoublent : « À mort le larron italien ! »
Les rues ne sont pas sûres. Louis enrage de ne pouvoir quitter les jardins du Palais-Royal, même sous escorte. Il mesure que Gaston d’Orléans semble être devenu l’homme le plus puissant du royaume, s’appuyant sur les parlementaires, obtenant de la reine la libération de Condé, de Conti et du duc de Longueville, et surtout le départ de Mazarin.
Louis, rageur, conduit sa guerre enfantine dans les jardins en compagnie de ses habituels partenaires de jeux, Brienne, Paul Mancini, le neveu de Mazarin. Il organise l’assaut furieux contre le château fort miniature. Il fait tirer le canon, exploser de la poudre. Puis il rentre au Palais, et écoute sa mère qui se confie à l’une de ses amies, Mme de Motteville.
— Je défends le cardinal, c’est un ministre qu’on m’ôte de force, dit-elle. Il a de très bonnes intentions pour le service du roi et le mien. Il a glorieusement conduit les affaires qu’on lui a laissé faire. Mais il a été trahi par ceux qu’il a obligés.
Elle répète qu’elle doit le défendre, puis tout à coup, d’une voix plus faible, elle ajoute :
— Je voudrais qu’il fût toujours nuit car, quoique je ne puisse dormir, le silence et la solitude me plaisent, parce que dans le jour je ne vois que des gens qui me trahissent.
Louis ne peut supporter la souffrance de sa mère, les humiliations et les trahisons qu’elle doit accepter, parce que le duc Gaston d’Orléans, les princes de Condé et de Conti, le duc de Longueville sont désormais les plus forts. Mazarin est en exil en Allemagne.
Et il faut subir.
Voici le prince de Condé, libéré, hautain, qui se présente en compagnie de Gaston d’Orléans dans la chambre de la reine.
Il faut feindre. Louis s’approche de Condé. N’est-il pas son cousin ? Il l’embrasse, lui parle de ses victoires, qui font de lui le Grand Condé. Et le prince se rengorge.
Quand on ne peut écraser, il faut ruser et duper.
Louis apprend à chaque instant dans ce Palais-Royal dont il est en fait prisonnier.
Une nuit, La Porte le réveille, lui murmure que le capitaine des Souches, qui commande les gardes suisses du duc d’Orléans, va entrer dans la chambre pour s’assurer de la présence du roi au Palais. Il faut faire mine de dormir, conseille-t-il.
Louis ferme les yeux. Il entend les bruits de pas, les chuchotements. Puis on s’éloigne et d’autres pas se rapprochent. C’est la foule qui entoure le Palais-Royal, qui veut elle aussi constater que le roi n’a pas fui Paris.
Louis ne bouge pas. Il garde les yeux clos. Il s’efforce de respirer régulièrement, de maîtriser ce haut-le-cœur qui naît de l’humiliation, de la colère et même de la rage, et aussi de ces odeurs âcres de sueur et de crasse qui ont envahi la chambre.
Il sent sur lui l’haleine de ces gens du peuple qui se penchent pour le dévisager.
Il les imagine, leurs traits émaciés, leur peau noircie.
Il en fait le serment alors que son corps paraît reposer, calme et endormi, jamais, jamais plus, durant toute sa vie à venir, il n’acceptera cela.
Tout, plutôt que l’humiliation et l’abaissement du roi.
Enfin, ces gueux, ces manants, ce peuple et ceux qui se servent de lui ont quitté la chambre, le Palais-Royal. Mais Louis sait qu’il n’oubliera jamais cette nuit, son intimité forcée,
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