Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
aussi de sang royal ? Ce n’est plus une Fronde mais une guerre civile.
Louis écoute sa mère.
— À cette heure que nous avons la guerre civile, dit-elle, il n’y a plus rien de pire à craindre. Je le veux faire revenir.
Louis baisse la tête. Il sait que si le cardinal Mazarin revient, c’est lui qui gouvernera.
Mais être roi, c’est accepter ce qui est nécessaire pour sauver le royaume, c’est-à-dire le pouvoir du roi.
Et Louis sait qu’il a besoin de Mazarin.
8.
Louis est ému.
Il ne se doutait pas qu’il éprouverait un sentiment aussi fort en voyant s’avancer vers lui le cardinal Mazarin.
Il a la tentation de s’élancer vers cet homme grand, au visage qui exprime à la fois la douceur et la vivacité. Il retrouve ses émotions et aussi sa soumission d’enfant, quand Mazarin était le maître de son éducation, qu’il régnait aux côtés de la reine. Il était le Grand Turc contre lequel Louis pouvait se dresser, s’emporter, mais à la fin il fallait obéir et éprouver du plaisir à accepter cette tutelle, respectueuse et ferme, et suivre ses conseils, satisfaire ainsi sa mère.
À quelques pas derrière Mazarin, dans cette salle glacée du château de Gien, alors que le brouillard noie les pays de Loire et que cette journée du mois de janvier 1652 hésite entre la pénombre et la nuit, se tient un homme au visage sévère. Il a les yeux enfoncés sous des sourcils épais, le teint pâle.
Louis reconnaît Colbert, cet homme qui a plusieurs fois déjà apporté des missives de Mazarin, la dernière annonçant enfin l’arrivée de Son Éminence, à Poitiers, puis ici à Gien. Louis l’a regardé d’abord avec mépris et méfiance, puis il a eu confiance dans cet homme, déférent mais sans obséquiosité, soumis mais restant digne.
Mazarin d’un geste renvoie Colbert, et Louis fait un pas vers le cardinal. Sa présence le rassure.
Mais il est le roi, le chef de guerre, et plus seulement un adolescent dans sa quatorzième année.
Louis voudrait raconter la charge qu’il a conduite, contre les troupes de Condé, comment aussi il a renvoyé les parlementaires venus lui rappeler que Mazarin est banni à perpétuité du royaume de France.
Ils lui ont rapporté comment les hommes d’affaires du cardinal, Colbert, précisément, et un autre rapace, Fouquet, mettent le royaume à l’encan, remplissent d’or les coffres de Son Éminence, leur maître, vendent des certificats d’anoblissement, prêtent à intérêt, à des taux usuraires, organisent des compagnies commerciales et s’enrichissent au passage.
Mais le pays est épuisé. Des mendiants par milliers ont envahi les rues de Paris. Les paysans pillés par les troupes de Condé et celles de son allié le duc de Lorraine ne peuvent plus cultiver leurs champs. On ne rentre plus les moissons.
Le roi sait-il qu’à Paris, l’on a vu la foule des miséreux attaquer, renverser les carrosses des gens de bien, piller leurs maisons, et les manants ont crié : « Point de roi, point de prince ! Vive la liberté » ?
N’est-ce pas ainsi que la révolution a commencé dans le royaume d’Angleterre, et le roi y a perdu sa tête sous la hache du bourreau ?
Il faut, ont répété les parlementaires, ne pas accueillir Mazarin que le peuple hait et méprise. Il faut, comme l’engagement en a été pris, le bannir.
Mais Louis a interrompu le président du Parlement. Il a lancé, comme on donne un ordre à un valet :
— Retirez-vous, messieurs, retirez-vous.
Il ne fait pas ce récit à Mazarin. Il baisse la tête. Il est heureux que Mazarin lui serre l’épaule. Il sent contre son cou cette main caressante. Il est paralysé par ce contact, cette voix.
Mazarin lui reproche d’avoir exposé sa vie aux mousqueteries des mercenaires de Condé. Certes, son prestige auprès des soldats de Turenne, qui servent le roi, est désormais grand.
Louis frissonne. Il lui semble que ce qu’il a connu là, à la tête de ses troupes, compte parmi les moments les plus forts de sa vie. Les soldats l’ont accueilli en levant leurs armes. Ils ont crié « Vive le roi, bataille, bataille ! ».
Louis voudrait s’abandonner à ce souvenir, évoquer ce qu’il a éprouvé, ce désir de conduire la guerre contre Condé et contre le duc de Lorraine dont les troupes saccagent le pays, torturent, violent, détruisent pour le plaisir.
Mazarin prend Louis aux épaules, lui chuchote qu’un grand roi ne peut mettre sa vie en
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