Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
l’impuissance à laquelle il a été réduit.
Et les Grands, le duc d’Orléans, les princes, Condé et Conti, et aussi ce prince de Gondi, bientôt cardinal de Retz, sont coupables, plus dangereux encore que le peuple – qu’une compagnie de gardes suisses, un parti de cavaliers peuvent soumettre. Mais les Grands, Condé surtout, ont leurs armées, leurs clientèles. C’est l’orgueil et la puissance de ces Grands, que Mazarin, après son maître Richelieu, a voulu briser. Il devra continuer leur tâche.
Il ne peut s’empêcher d’être submergé par l’émotion quand il prend connaissance de la lettre que Mazarin, depuis son exil, a adressée à la reine.
« Le service du roi et le vôtre demandaient que ma retraite fût suivie de ma sortie hors du royaume, écrit Mazarin à Anne d’Autriche. J’ai souscrit avec grand respect à ces sentiments, à l’avis de Votre Majesté dont les commandements et les lois seront toujours l’unique règle de ma vie…
« J’aimerais mieux contenter la passion de mes ennemis que de rien faire qui puisse préjudicier à l’État et déplaire à Votre Majesté… Je suis inébranlable dans mes sentiments… Je prie Dieu, Madame, que comme ce qui m’est arrivé n’altérera jamais les passions immuables que je conserverai jusqu’à la mort pour la prospérité de Vos Majestés, pour l’agrandissement de l’État, et que je puisse aussi en faire bientôt cesser le désordre…»
Louis réprime un sanglot.
Il voit sa mère s’approcher de lui, caresser sa joue.
— Eh bien, mon fils, si nous ne pouvons pas rappeler sitôt M. le cardinal, qui nous a si bien servis, murmure-t-elle, ne le rappellerez-vous pas quand vous serez majeur ?
Ce mois de septembre de sa majorité lui semble si loin encore. Et chaque jour, il subit les humiliations des Grands, du prince de Condé d’abord, et derrière lui, avançant souvent masqué, de Gaston d’Orléans.
Louis, ce 31 juillet, est dans son carrosse, qui roule au bord de la Seine, sur les pavés du Cours-la-Reine. Il entend une chevauchée. Il voit s’avancer à sa rencontre un carrosse dont les valets ont la livrée du prince de Condé. Celui-ci devrait, selon l’étiquette, s’arrêter, saluer son roi, mais il passe, marquant ainsi son dédain. Et Louis a l’impression que Condé vient de le souffleter publiquement.
Rentré au Palais-Royal, il voudrait, comme il en a l’habitude, et pour oublier aussi l’humiliation subie, faire une promenade à cheval en compagnie de sa cousine, Mademoiselle, le fille de Gaston d’Orléans, et de l’une de ses suivantes Mme de Frontenac, dont la beauté et le piquant juvénile l’attirent.
Mais le maréchal de Villeroy, en s’inclinant, lui annonce que Sa Majesté la reine a interdit ces promenades.
Louis s’emporte. Il est prêt, dit-il, à offrir cent pistoles pour les pauvres, toutes les fois qu’il ira se promener.
La reine refuse encore, sans doute craint-elle qu’il ne succombe au charme de Mme de Frontenac.
Louis entre dans la chambre de sa mère. Il la défie du regard comme il ne l’a jamais fait.
— Quand je serai le maître, martèle-t-il, j’irai où je voudrai et je le serai bientôt.
Elle le regarde effarée, puis commence à pleurer.
Il voudrait rester insensible, mais tout à coup des sanglots l’étouffent. Il s’incline devant sa mère, lui saisit la main, lui demande de le pardonner.
Il ne peut se dresser contre elle, alors que tant d’ennemis l’assaillent, qu’elle est contrainte d’accepter que le Parlement gracie tous ceux qui se sont dressés contre elle et proclame le bannissement à perpétuité de Mazarin.
Et le peuple de Paris approuve. On annonce dans les rues que :
« Pour avoir par ses enchantements et par ses sortilèges suborné l’esprit de la reine ;
« Pour avoir violé les coutumes de France et transgressé toutes les lois divines et humaines ;
« Pour avoir été reconnu l’auteur des guerres civiles qui ont été depuis deux ans en France ;
« Pour avoir fait imposition sur les sujets du roi et extorqué tyranniquement d’eux des sommes immenses ;
« Mazarin a été condamné d’être pendu et étranglé par la main du bourreau et pour n’avoir encore pu être saisi et appréhendé au corps son portrait a été attaché à la potence…»
Louis, quelques jours plus tard, voit ce même peuple qui rêve d’écharper Mazarin se presser du Palais-Royal à l’île de la Cité,
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