Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
sait qu’elle attend comme chaque jour le cardinal qui loge sous les combles, mais juste au-dessus, d’où il peut accéder aux appartements d’Anne d’Autriche par un escalier privé.
Et lorsque Louis imagine cela, il ne peut s’empêcher d’en vouloir à cet homme affable, séducteur et puissant, qui décide de tout, qui a fait venir d’Italie cette troupe de nièces et de neveux qu’il loge dans l’aile Lescot du palais du Louvre, non loin de son propre appartement.
Combien sont-ils dans cette famille Mazarin dont on murmure qu’elle s’est jetée sur le royaume avec avidité, comme sur un pactole à se partager sous la houlette du larron ministre et cardinal ?
Louis sait qu’on continue de haïr Mazarin malgré les bonnes mines qu’on lui présente. On ricane et on se moque à la Cour de ses nièces à marier. L’une d’elles, Anne-Marie Martinozzi, a déjà épousé le prince de Conti, le propre frère de Condé ! Une autre est devenue Laure de Mercœur, épouse de duc, et les dernières, Olympe, séduisante, Marie et Hortense Mancini, à peine entrevues, sont, elles aussi, malgré leur jeune âge, en quête d’un époux titré. Il y a le neveu Philippe Mancini, que Louis apprécie.
Il le convie, ainsi que Laure, Olympe ou Anne-Marie, dans ses appartements. On y joue aux cartes, on y danse, on y donne la comédie. On y récite des vers.
Louis se lève, il sera Apollon, dit-il, dans le nouveau ballet, Les Noces de Pelée et de Thétis , composé par Lully, écrit par Isaac de Benserade.
Louis déclame :
J’ai vaincu ce python qui désolait le monde
Ce terrible serpent que l’Enfer et la Fronde
D’un venin dangereux avaient assaisonné
La révolte en un mot ne me saurait plus nuire
Et j’ai mieux aimé la détruire
Que de courir après Daphné.
On l’applaudit. Il trouve les nièces de Mazarin à son goût.
Il s’approche de Laure de Mercœur. On dit qu’elle est enceinte déjà, mais elle n’est que plus épanouie, plus séduisante peut-être que sa sœur Olympe.
Il hésite à choisir. Et pourquoi le devrait-il ? Il se sent aussi dévoreur de femmes que de viande, de douceurs, de fruits. Il lui semble que rien ne peut le rassasier. Il veut que la nuit, on tienne prêts plusieurs mets dans sa chambre, pain, brioches, viandes, afin que si la faim le réveille il puisse l’apaiser.
Et il en est de même des femmes.
Il est Apollon. Lumière, gloire et beauté. Il séduit Laure et Olympe, et sa mère s’inquiète, le cardinal condamne. Un roi de France n’épouse pas une Mancini.
Louis s’obstine un peu, puis découvre dans l’entourage de sa mère une nouvelle suivante, Mlle de La Motte d’Argencourt, une jeune fille blonde dont la douceur passive l’attire. Il lui chuchote des confidences, et un jour Mazarin les lui rapporte, avec un sourire satisfait. La demoiselle parlait à sa mère qui courait chez Son Éminence, pour lui dire que le roi était impatient de la tutelle que la reine et son ministre exerçaient sur lui, et qu’il la rejetterait.
— Voyez ce qu’on invente, Majesté, dit Mazarin, pour affaiblir le gouvernement du royaume.
Louis s’éloigne. Il ne reverra plus cette Mlle d’Argencourt qui disparaît, enfouie dans un couvent.
Un roi ne doit jamais se livrer. Il doit faire du silence et du secret ses lois.
12.
Enfin, c’est le dimanche 7 juin 1654, jour du sacre.
Louis marche lentement au centre du cortège qui, du palais archiépiscopal où il a passé la nuit, se dirige vers la cathédrale de Reims.
Il regarde autour de lui les hérauts des provinces de France, les gentilshommes, et devant lui le maréchal d’Estrées qui porte l’épée nue, le bleu des uniformes, l’or des fleurs de lys, l’éclat des cottes de mailles composant un arc-en-ciel de couleurs chatoyantes. Et tambours, cors, violons, trompettes rythment ce ballet dont il est l’acteur majestueux, celui sans qui rien n’existe.
Il s’avance vers la nef, passant entre les deux rangées de gardes suisses.
Il découvre les tapisseries qui la décorent, et le trône couvert d’un dais de velours brodé de lys en fil d’or.
Il va s’agenouiller sur le prie-Dieu placé dans le chœur.
Dans les tribunes il aperçoit sa mère, accompagnée de la veuve de Charles I er , Henriette de France, et de sa fille Henriette d’Angleterre. Seul sur un banc, placé devant les rangs d’invités, il voit Mazarin, rayonnant comme l’ordonnateur de cette scène, de ce
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