Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
ballet rituel qui doit durer six heures.
Louis s’assoit. Il porte la couronne de Charlemagne. Il embrasse l’épée de l’empereur. L’évêque lui glisse l’anneau au quatrième doigt de la main droite.
Puis Louis se lève, écoute l’évêque lire les textes des serments que le roi doit prêter.
Les phrases en latin résonnent en lui. Il a l’impression qu’en répétant ces mots, il devient autre. Il dit, d’une voix qu’il veut forte mais qui lui semble retenue dans sa gorge :
— Je m’engage à assurer la défense, autant qu’il se peut, le Seigneur aidant, comme le doit un roi en son royaume, pour chaque évêque et le diocèse qui lui est confié.
Il tend la main au-dessus des Évangiles, il promet au peuple du royaume la paix, la justice et la miséricorde, et à ce « peuple de ma souveraineté je promets que ce peuple chrétien conservera en tous temps, sous notre autorité, la vraie paix de l’Église de Dieu… Je m’engage à extirper nommément de mes terres et juridictions toutes les hérésies dénoncées par l’Église ».
Il hausse la voix, et elle résonne sous les voûtes de la nef :
— Par serment je confirme tous ces engagements, Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles.
On le bénit. Il reçoit les sept onctions de l’huile sacrée issue de la sainte ampoule. Il saisit le sceptre de la main droite et la main de justice de la gauche.
Puis c’est la messe, la confession, la communion. Il a oublié le temps, tout entier pris par l’émotion, cette cérémonie qui fait de lui l’intermédiaire entre le peuple de sa souveraineté et Dieu. Et celui-ci lui donne le pouvoir de juger et de guérir.
Louis marche vers la porte de la cathédrale qu’on ouvre enfin.
Il regarde s’envoler des dizaines d’oiseaux qu’on lâche, et que la foule rassemblée et jusqu’alors tenue à l’écart salue par des cris de joie qui s’amplifient quand enfin elle voit le roi.
Il s’arrête un instant.
Il voit tous ces visages tendus vers lui, ces mains qui s’agitent, ces cris de « Vive le roi ! ».
Les cloches sonnent à toute volée.
Et c’est Philippe Mancini qui portera la queue de la traîne du manteau royal brodé de flammes d’argent.
Demain, il se rendra à l’église Saint-Remi. Après-demain, il touchera les écrouelles des centaines de malades rassemblés. Il les bénira d’un signe de croix tracé sur le front du malade et dira : « Le roi te touche ! Dieu te guérit. »
Il est faiseur de miracles, au-dessus de tous les hommes, mais, comme chacun d’eux, dans la main de Dieu.
Ce ballet sacré s’achève. Il faut quitter Reims, sortir de scène, mais un autre spectacle commence, où il tient aussi le premier rôle.
La Cour s’est installée à Sedan, mais chaque jour il veut chevaucher jusqu’à Stenay, place forte tenue par les troupes espagnoles de Condé. Car ce traître continue sa guerre, et l’argent manque au royaume pour la mener.
Louis écoute Mazarin lui annoncer qu’il a chargé Nicolas Fouquet de faire face aux besoins du royaume, car les caisses sont vides. Il faudra en appeler aux financiers, à leurs « affaires extraordinaires ». Il insiste : les dépenses s’accroissent, pour la guerre, les vaisseaux, les galères, l’artillerie, les fortifications, les ambassadeurs, les gardes suisses, les divertissements, les ballets du roi, les travaux d’aménagement et d’embellissement du Louvre, les dépenses en meubles, vaisselle.
Louis tourne la tête. L’argent ne peut manquer. N’est-il pas ce roi qui vient d’être sacré ? Que Mazarin et Fouquet trouvent donc de nouvelles ressources « extraordinaires »…
Il s’éloigne de Mazarin, rejoint les troupes, saute en selle. Il sait qu’il peut rester jusqu’à huit heures d’affilée à cheval. Il l’a fait devant Arras lorsque Turenne a bousculé, chassé les Espagnols de Condé qui assiégeaient la ville.
Victoire à Arras comme à Stenay ! Et Louis chevauche, acclamé par les soldats. Les boulets tombent. Des hommes sont tués, blessés. L’un d’eux s’avance, tenant sa main arrachée, la montre au roi, glorieux, heureux, dit-il, de l’avoir perdue au service de son souverain.
— Qu’on offre à ce soldat dix pistoles, murmure Louis.
Puis il s’en va. On doit au roi des sacrifices. Non seulement il est l’incarnation de toute la lignée de ceux qui depuis Clovis ont régné sur la France, mais il est aussi l’homme que Dieu a
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