Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
puis les acclamations qui accompagnent ses premiers pas de danse le transportent.
Il sait qu’il est le plus beau, qu’autour de lui, les autres danseurs de ce Ballet royal de la nuit s’effacent, parce que, après la succession des Nuits et des Heures, les épisodes qui font apparaître les Nains et les Sorcières, les Loups-Garous, qui évoquent la Lune et les Étoiles, des chasseurs, les Bergers et les Bergères, il est celui qui incarne le Soleil.
Il a veillé à chaque détail de ce ballet écrit par Isaac de Benserade. Il a voulu que Lully, ce musicien italien, compose certaines des partitions, et il a décidé de le placer à la tête des vingt-quatre violons du roi, et de le nommer compositeur de la musique instrumentale du roi.
Louis a répété jour après jour les figures de danse qu’il doit interpréter. Il veut apparaître plusieurs fois dans le ballet sous divers déguisements, celui de Protée qui change d’aspect, celui aussi de l’amoureux transi, mais ce ne sont là que rôles secondaires, annonçant la venue du Soleil. Il sera le Soleil.
Il a choisi avec soin chaque pièce de son costume. Il faut que des mèches tressées entourent sa tête comme des rayons. Des collants brodés, la tunique qui s’arrête au-dessous du genou et les chaussures à hauts talons seront serties de pierres précieuses.
Il doit éblouir comme l’astre majeur afin que tous les spectateurs sachent qu’il est ce Roi-Soleil auquel personne ne peut se comparer, et dont même les plus grands ne peuvent masquer la lumière.
Le ballet est une représentation du monde, la danse une imitation du mouvement des astres, et si Dieu est le plus grand maître de ballet, Louis veut que le roi en soit la figure centrale.
La dernière scène du spectacle commence. Toutes les lumières inondent la salle.
Louis voit Philippe, son frère cadet, faire quelques pas de danse. Monsieur est l’Étoile du jour qui annonce l’arrivée de l’astre royal. Il déclame :
Dès que ce grand roi s’avance
Les nobles clartés de la Nuit,
Qui triomphaient en son absence,
N’osent soutenir sa présence :
Tous ces volages feux s’en vont évanouis
Le Soleil qui me suit, c’est le jeune Louis.
Louis aime danser, écouter ces acclamations, voir dans le regard des femmes l’admiration, le désir de lui plaire et de se soumettre. Il jouit de voir ces hommes qui dérobent leur regard en baissant la tête par peur de laisser deviner leurs sentiments, peut-être leur jalousie.
Il est le Soleil roi.
Il veut qu’on ouvre les portes de la salle du Petit-Bourbon, afin que le peuple, lui aussi, puisse le voir. Et il dansera ce ballet quatre fois encore, puisque les spectateurs se pressent, applaudissent et que lui-même ne se lasse pas de danser, d’apparaître, jeune roi éclatant de beauté, souple et élégant, auréolé par les éclats de l’or et des pierres qui constellent son costume.
Lorsqu’il sort de scène, l’une des danseuses, une bergère, s’approche de lui, le frôle.
Il suffit d’effleurer son poignet pour l’attirer contre soi, l’entraîner dans les appartements royaux, que Mazarin a commencé de faire aménager au premier étage du Louvre. Les valets ouvrent les portes, s’effacent, referment.
Louis est seul avec cette jeune femme qui s’offre, pâmée.
Mme de Beauvais, la borgnesse, la boiteuse, l’initiatrice, n’est même plus un souvenir.
Louis prend la bergère, et il pourrait user à sa guise de toutes ces femmes qui l’admirent.
Il est Soleil. Il est César victorieux.
Le 4 juillet 1653, il se rend à l’Hôtel de Ville, là où les gueux, il y a un an, payés par Condé, ont massacré et pillé, et où afin de l’honorer le prévôt des marchands et les échevins ont fait dresser une statue de marbre blanc le représentant en César.
Armé d’un javelot, corseté par une armure, casqué, il écrase de son pied, tel saint Michel, un guerrier vaincu.
Mais il veut être plus que César. Il ne succombera pas à une conjuration. Il régnera en associant la force à l’habileté, en suscitant l’admiration, en subjuguant ses sujets. En les soumettant avec l’aide de Dieu.
Il se rend à Notre-Dame, il y écoute la messe, puis dans la grande salle de l’Hôtel de Ville il assiste à une représentation du Cid.
Il est assis seul sur la scène. Il sent qu’on le regarde plus qu’on ne suit le jeu des acteurs. Mais être roi, n’est-ce pas être l’acteur suprême, le maître
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