Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
route jusqu’à Lyon.
— Elle est petite, confie-t-il le soir même à Anne d’Autriche. Mais elle a la taille la plus aisée du monde. Elle ressemble fort à ses portraits. Elle a le teint un peu basané, mais cela lui sied bien. Elle a de beaux yeux. Elle me plaît et je la trouve à ma fantaisie.
Pourquoi pas Marguerite de Savoie, comme épouse ?
Il danse avec elle, lors du grand bal donné en son honneur. Puis il retrouve Marie Mancini. Ils sont logés de part et d’autre de la place Bellecour. Lui, dans le somptueux palais du financier italien Mascarani. Ils s’y rencontrent, puis ils marchent lentement côte à côte, une partie de la nuit, allant et venant sur la place verglacée.
— N’êtes-vous pas honteux qu’on veuille vous donner une si laide femme ? interroge Marie Mancini.
Elle glisse, s’accroche à son bras. Il est ému, sourit. Marie s’écarte, s’arrête. Dans cette pleine lune de décembre, avec le col de fourrure qui cache le bas du visage de Marie, Louis ne voit que les yeux vifs et les boucles noires qui tombent sur les épaules de la jeune femme.
— Laide, reprend Marie, et bossue.
Elle insiste, répète ce mot. Il serait donc le seul, s’étonne-t-elle, lui le roi de France, le futur époux, à ignorer la difformité de la princesse savoyarde.
Il est tenté de confier à Marie Mancini ce qu’il a appris. L’arrivée à Lyon, déguisé en mendiant, d’un envoyé du roi d’Espagne, son secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Antonio Pimentel. Il s’est fait reconnaître par Colbert. Il a rencontré Son Éminence Mazarin. Il vient proposer, au nom de son souverain Philippe IV, un traité de paix entre la France et l’Espagne, après plus de deux décennies de guerre, et il offre au roi de France la main de l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse, la nièce d’Anne d’Autriche.
Mais Louis se sépare de Marie Mancini sans ajouter que l’on dispose ainsi une nouvelle fois de son avenir.
Il est irrité à cette idée.
Le matin, il se rend chez Marguerite de Savoie. On veut lui interdire d’entrer dans cette suite de pièces obscures où loge la princesse. Il est hanté par les mots de Marie Mancini, « laide et bossue ». Il écarte les domestiques, il aperçoit Marguerite de Savoie en déshabillé. Il voit la difformité. Il s’incline, ressort.
Il en veut à Mazarin, à la reine mère. On agit avec lui comme s’il n’était pas le roi de France.
Il n’épousera pas cette Savoyarde. Quant à l’infante d’Espagne… Et pourquoi pas Marie Mancini ?
Il joue avec cette idée. N’est-il pas le roi de France, le maître ?
Il traverse la place Bellecour. Il entend la voix de Marie Mancini. Elle chante, s’avance vers lui quand elle l’aperçoit. Il aime son sourire et ses élans.
Il l’entraîne. Ils vont galoper toute la matinée. Parfois elle le distance, et il ne se lasse pas de voir sa silhouette dans un justaucorps de velours noir doublé de fourrure, les plumes de son bonnet tombant sur ses épaules. Elle est enjouée, mutine.
Pourquoi pas Marie Mancini ?
Il imagine les arguments d’Anne d’Autriche. Il sait que sa mère est depuis toujours favorable au mariage espagnol. Quant à Mazarin, comment savoir ? C’est un homme qui peut plier, se dérober si on lui résiste.
Louis se souvient de la Fronde.
Il apprend que Mazarin a déjà congédié les Savoyardes, en les comblant de cadeaux et de promesses. C’est donc que le cardinal, comme il l’avait plusieurs fois laissé entendre, choisit la paix avec l’Espagne. Le mariage savoyard n’a été qu’un leurre, pour attirer les Espagnols. Mais c’est moi qu’on veut marier, moi le roi.
Il a vingt ans.
Il voit s’avancer vers lui, dans la salle de bal, Marie Mancini, fière et belle, radieuse, portant rubans et émeraudes. Cette vision l’enchante et le grise.
Qu’importe les pensées et les stratagèmes de la reine mère et de Mazarin ? Il est le roi et, ce soir, cette jeune femme qui lui sourit le comble.
Il va vers elle. Il ne pense plus qu’à elle.
— Ma reine, murmure-t-il, cet habit vous sied à ravir.
19.
Il ne quitte plus Marie Mancini.
Il danse, il galope, il rit avec elle. Il ne se lasse pas de l’écouter. C’est donc cela aimer ?
Et l’on voudrait le priver d’elle ?
Il refuse d’obéir à Anne d’Autriche. Sa mère hausse le ton. Il frappe du talon. Je suis le roi. Elle pleure, elle s’emporte. Il voudrait crier
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