Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
c’est ma vie , répéter, ne suis-je pas le roi ? Mais il n’ose pas. Il lui faudrait tourner le dos, dire qu’il est désormais le seul maître de ses décisions. Mais sa mère pleure. Et il sent qu’il va pleurer lui aussi.
Il se laisse entraîner, loin des suivantes, des dames d’honneur qui assistent à la scène. Il est maintenant en tête à tête avec sa mère, dans ce cabinet de bains. Elle lui répète que le mariage avec l’infante Marie-Thérèse est le seul digne de lui, celui qui va permettre d’établir la paix entre les deux monarchies catholiques, pour le bien de l’une et de l’autre, et la paix du monde.
Louis, Roi Très Chrétien, pourrait-il oublier ses serments du sacre de Reims ? Sait-il que dans tout le royaume on espère ce mariage, on dit qu’il « finira la guerre, et que l’infante d’Espagne sera une reine de paix » ?
Lui, Louis, peut-il ignorer les souhaits de ses sujets, de la sainte Église ?
Elle a reçu ce matin une lettre de ce jeune prédicateur, Bossuet. Il lui écrit : « Madame, les victoires de notre grand roi relèvent l’éclat de votre couronne, et ce qui surpasse toutes les victoires, c’est qu’on ne parle plus, par toute la France, que de cette ardeur toute chrétienne, avec laquelle Votre Majesté travaille à faire descendre la paix sur la terre. »
Tel est l’enjeu, dit-elle.
Il se sent comme écrasé sous un poids immense qui l’étouffe.
Il essaie d’oublier Marie Mancini. Il tente de s’intéresser à cette querelle feutrée, à cette haine même, dont toute la Cour parle à mots couverts et qui oppose le surintendant Nicolas Fouquet, resté seul maître des Finances après la mort du second surintendant Abel Servien, et Colbert, l’homme de Mazarin.
« C’est une chose publique et connue de tout le monde, répète Colbert, que le surintendant a fait de grands établissements, non seulement pour lui, non seulement pour ses frères, non seulement pour ses parents et amis de longue main, non seulement pour tous les commis qui l’ont approché, mais encore pour toutes les personnes de qualité du royaume et autres qu’il a voulu s’acquérir, soit pour se conserver, soit pour s’agrandir. »
Louis écoute. On lui apprend que Fouquet organise dans son château de Vaux-le-Vicomte, dont les travaux viennent de s’achever, de somptueuses réceptions. Molière y donne la comédie. Lui dont la troupe a été accueillie au palais du Petit-Bourbon, et qui vient d’interpréter pour la Cour une pièce fort plaisante, Les Précieuses ridicules , n’a pas résisté à l’attrait de la puissance de ce Nicolas Fouquet. Et l’on vante la munificence du surintendant, la beauté de ses jardins, la splendeur d’une fontaine représentant Neptune.
Louis, quelques instants, oublie Marie Mancini, puis tout à coup il s’emporte, comment pourrait-il être le maître, s’il se laissait imposer une épouse dont il ne veut pas ?
C’est sa souveraineté et sa liberté de roi qu’il défend, en s’obstinant à refuser ce mariage espagnol.
Il fait face à Mazarin. Il ne baisse pas les yeux. Il dit qu’il est prêt à se passer de lui, qu’il peut, qu’il doit gouverner à sa guise, et non à celle du Premier ministre – il ajoute, dans un murmure, fût-il dévoué au royaume et eût-il bien servi son souverain.
Mazarin d’une voix calme annonce que les pourparlers avec l’Espagne sont près d’aboutir. Une trêve entre les deux armées a été signée et est respectée.
N’est-ce pas là l’intérêt du royaume ?
Les préliminaires du traité sont en cours de rédaction. Le royaume de France y gagnera de nombreuses villes des Flandres. L’Alsace, la Franche-Comté, et même la Lorraine, si elles ne sont pas encore acquises sont dominées, elles vont mûrir comme des fruits qui tomberont inéluctablement dans les mains françaises.
N’est-ce pas à cela que se mesure la gloire d’un roi ?
Mazarin se tait un long moment puis ajoute qu’il est prévu que le roi épousera l’infante d’Espagne Marie-Thérèse, et, moyennant le paiement effectif fait à Sa Majesté Très Chrétienne, le roi de France, de cinq cent mille écus d’or, l’infante renoncera à tous ses droits de succession à son père, le roi d’Espagne Philippe IV.
— Et si l’Espagne ne peut payer ce « moyennant »… murmure Mazarin, l’infante, devenue reine de France, héritera.
Puis il précise que les négociations vont se
Weitere Kostenlose Bücher