Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
revenus.
Et l’on dit que Condé veut leur envoyer un renfort de quatre mille cavaliers. Ce royaume ne connaîtra-t-il donc jamais l’ordre ?
Louis écoute le sermon de carême qu’au Louvre un capucin prononce, la voix tremblante d’indignation et d’émotion, comme si tout à coup le prédicateur prenait conscience des accusations qu’il formule. Il continue pourtant.
— C’est une honte, lance-t-il, les peuples se saignent pour le bien des affaires de Votre Majesté, pour sa gloire et le soutien de sa couronne. Ils voient avec des soupirs et des larmes que tout leur avoir et toute leur substance passent en des mains étrangères qui prennent pour elles et pour leurs créatures toutes les finances de votre État.
Louis observe ce Nicolas Fouquet, rayonnant de suffisance, dont on dit qu’il transforme en place forte Belle-Isle qu’il vient d’acheter. Il s’entoure d’une cour de laudateurs, comme ce fabuliste La Fontaine, ce comédien Molière, et cet auteur Pierre Corneille. Et son premier commis Pellisson met sur pied une compagnie de commerce qui vend au royaume rival, l’Espagne, des toiles blanches tissées en Normandie.
Un roi de France peut-il tolérer que naisse une telle puissance, que grandissent la gloire et la richesse d’un homme qui a choisi pour ses armes un écureuil, placé entre les pattes d’un lion, et fait inscrire sous les tableaux d’Apollon ou d’Hercule Quo non ascendam , « Jusqu’où ne monterai-je pas » ?
Est-ce là la devise d’un surintendant des Finances, d’un sujet du roi de France ?
Louis s’assombrit. On lui murmure que Colbert s’emploie avec la même avidité que Nicolas Fouquet à entasser une fortune pour son maître le cardinal de Mazarin.
Louis ne quitte pas des yeux Son Éminence, au Conseil, le soir à la table de jeu ou bien conversant avec ses nièces.
Louis s’approche. Il connaît Olympe et Laure. Mais c’est Marie Mancini qui l’attire. Elle a embelli. Elle ne baisse pas les yeux. Son visage aux traits irréguliers est souriant.
Louis aime à l’écouter parler. Elle récite dans un italien velouté de longs passages de La Divine Comédie , puis elle traduit, la voix marquée par son accent, attachante, et il découvre ainsi Dante. Elle lui raconte le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry.
Lorsqu’elle lève la tête vers lui, il est troublé par la masse de ses cheveux de jais. Il a le sentiment d’éprouver pour la première fois, avec une femme, autant et peut-être plus de plaisir à l’écouter qu’à la voir.
Lorsqu’elle s’éloigne, elle lui manque.
Il ne peut s’empêcher de dire à Son Éminence :
— Dieu que votre nièce a de l’esprit !
Le cardinal fait mine d’être étonné, dit qu’il a plusieurs nièces.
Et Louis murmure ce nom, Marie.
Il ne l’oublie pas alors qu’il chevauche en Flandre, entre les dunes et Dunkerque, entre Calais et Mardyck.
Il se sent las. Il s’étonne de ne pas éprouver cette joie vive qu’il a connue sur d’autres champs de bataille, quand il s’élançait à la tête des gardes du corps et des mousquetaires, ou qu’il entrait dans les villes conquises par Turenne.
En apparence pourtant, tout paraît recommencer.
Les Espagnols de Dunkerque capitulent. Louis pénètre dans la ville. Il est accueilli dans l’église par tous les religieux de la cité, auxquels il doit s’adresser. Il lui semble qu’il ne parviendra jamais à parler. Sa tête est serrée par une couronne de souffrance, comme si des épines pénétraient ses tempes, s’enfonçaient dans son front. Il ferme les yeux. Il s’efforce de rester droit. Il réussit à prononcer quelques mots. Puis il a l’impression d’étouffer. Il a la nausée. Il ne répond pas à Turenne qui lui annonce que Dunkerque va être remise, en application des traités d’alliance, aux Anglais.
C’est une déception de plus.
Il a l’impression qu’il va s’effondrer, que la fièvre va le terrasser. Il faut pourtant donner le change, chevaucher sous ce soleil voilé, dans cette brume nauséabonde qui sent le marécage et les chairs putréfiées. Il se penche sur l’encolure de son cheval. Il chancelle. La chaleur l’écrase. La migraine fait éclater sa tête. Il devine qu’on le questionne, qu’on s’inquiète. Il se redresse, fait un geste de dénégation, tend les rênes de son cheval au moment où il doit s’enfoncer dans les marais, avec de l’eau grise jusqu’au poitrail.
On arrive enfin à
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