Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
Mardyck. Et Louis ne peut s’empêcher de se coucher sur sa monture. Il ne veut pas perdre conscience. Il est le roi de France. Mais un voile noir lui enveloppe la tête. Il n’entend plus que le battement rapide, haletant, brûlant de son cœur, cependant que son corps fiévreux se couvre de sueur glacée.
Combien de temps s’est-il écoulé ?
Il ouvre les yeux. Il voit ces hommes en noir aux bonnets carrés, les médecins penchés autour de lui.
On lui murmure qu’il est à Calais où on l’a transporté, que sa fièvre est forte, qu’on l’a saigné, purgé et qu’on va devoir recommencer. Il reconnaît le médecin de sa mère, Guenaut, et le sien, Vallot. Il devine leurs conciliabules. On le purge et on le saigne de nouveau. Il vomit. Il pisse. Il a l’impression qu’on a jeté son corps sur un bûcher. Les flammes dévorent sa peau, brûlent sa tête et son ventre.
Il distingue des cloques, des plaques rouges sur ses avant-bras, ses cuisses, sa poitrine.
Il ne peut s’empêcher de se contorsionner, de laisser échapper des phrases. Il délire. Il a des convulsions puis il retombe, épuisé.
Il entend les médecins qui disent qu’il a été purgé vingt-deux fois, saigné plus d’une dizaine de fois. Il est victime, disent-ils, d’une fièvre pourprée, et peut-être va-t-il mourir.
Il voit le prêtre s’avancer, portant le saint viatique, murmurant les prières des agonisants. Et il l’entend lui dire qu’on prie dans toutes les églises du royaume, que celles de Paris sont remplies par la foule des sujets du roi qui en appellent à la grâce de Dieu.
Il est calme. Si Dieu le veut, qu’on lui prenne la vie. Il regarde autour de lui. Pas un prince, pas un duc, dans la chambre, tous ont fui son chevet, peut-être par crainte de la maladie, ou parce qu’ils l’imaginent condamné, qu’ils doivent faire leur cour à Monsieur, frère du roi, que chaque accès de fièvre de son aîné rapproche du trône.
Louis lève la main, demande à Son Éminence de s’approcher. Mazarin s’assied près de la tête du lit, se penche.
— Vous êtes un homme de résolution et le meilleur ami que j’aie, murmure Louis. C’est pourquoi je vous prie de m’avertir lorsque je serai à l’extrémité.
Il se sent rassuré quand Mazarin lui serre le poignet, lui répond qu’il va vivre.
Les médecins s’approchent, on lui présente un verre où l’on a mêlé de l’antimoine, une tisane purgative et du vin émétique.
Il boit lentement, soulevé sur les coudes.
Il vomit, par longues saccades qui laissent dans sa bouche et sur ses lèvres une saveur amère.
Les médecins se penchent, examinent ses vomissures, « nature séreuse, verdâtre et un peu jaune », disent-ils.
Il voit sa mère qui écarte les médecins, qui tend la main, lui caresse le front. Elle chuchote qu’il va triompher de la maladie, que dès lors qu’il a vomi, il est sauvé, qu’il va expurger toutes ces humeurs. Il tousse. Il vomit à nouveau, « de la bile jaune, comme du miel, des glaires brunâtres, pourries ».
Il a la sensation que tout son corps a été battu, brisé, et qu’il ne sera plus capable de se lever, de marcher, de danser.
On lui murmure que cela fait quinze jours qu’il est ainsi alité, mais qu’il n’est plus au fond de l’abîme.
On le saigne, on le purge de nouveau, mais il peut garder les yeux ouverts, comme si sa couronne de douleurs s’était desserrée. Il peut interroger La Porte et Dubois, ses premiers valets de chambre qui ne l’ont pas quitté.
Ils lui rapportent comment les courtisans se sont empressés autour de Monsieur. Les intrigantes, Mme de Choisy et Mme de Fiennes, se sont réjouies de la mort annoncée du roi, se présentant déjà comme les favorites du futur souverain, le roi Philippe. Elles ont espéré le décès du roi, rôdé autour de sa chambre. On a même surpris Mme de Fiennes, à la porte, couchée par terre pour tenter de savoir ce qui se passait dans la chambre.
Louis ferme les yeux, mais ce ne sont plus la fatigue et la maladie qui l’incitent à se replier sur lui-même, mais le besoin de se concentrer, de conclure qu’un roi n’a que des rivaux, qu’il faut se défier de tous, même de son frère, ce Philippe, dont les boucles brunes, les yeux faits, la poudre et les parfums, les manières sont ceux d’une femme, mais que l’ambition et la jalousie sans doute dévorent et que son entourage, ses amants et ses maîtresses enivrent avec
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