Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
son épouse, Liselotte la Palatine, sont au premier rang de la foule des courtisans qui se pressent, cherchent à saisir son regard, à faire entendre le murmure de leurs louanges.
Au fond de la pièce, dans la pénombre, il distingue les membres de l’Académie française qui viennent d’exprimer leur gratitude au roi, protecteur de l’Académie, et qui va accueillir leurs collections, leurs réunions dans le palais du Louvre. Et Lully, auquel il accorde le privilège de diriger l’Académie royale de musique, s’est déjà incliné devant lui, humble, soumis.
Est-ce cela la gloire ?
Louis sent son corps s’alourdir. L’ennui pèse sur ses épaules, mais il ne peut se lever. Il va devoir écouter les édiles de Paris, qui vont le remercier de l’ordre qui règne dans la ville, de la construction de la porte Saint-Denis, des travaux qui font en chaque quartier surgir des fontaines et l’eau vive, ce bienfait de Louis le Grand.
N’est-ce que cela la gloire ?
Louis scrute les visages.
Il connaît les vices de chacun de ces hommes et de ces femmes, et même leurs pensées. Les espions lui rapportent leurs propos, le contenu de leurs lettres. Il sait ce que l’on chante à Paris, en s’adressant à lui sur un air moqueur :
Les jeunes gens de votre Cour
De leurs corps font folie
Et se régalent tout à tour
Des plaisirs d’Italie
Autrefois pareille action
Eût mérité la braise
Mais ils ont un trop bon patron
Dans le père de La Chaise.
Louis apprécie ce jésuite, son confesseur. Mais que faire contre ce « vice italien » si répandu ?
Louis se souvient de Mazarin dont Scarron, le mari défunt de cette Françoise d’Aubigné devenue gouvernante pensionnée des enfants d’Athénaïs de Montespan, écrivait :
Sergent à verge de Sodome
Exploitant partout le royaume
Bougre bougrant, bougre bougré
Et bougre au suprême degré
Bougre à chèvre, bougre à garçons
Bougre de toutes les façons.
Et Louis a retrouvé, après le décès de sa mère, dans une cassette placée à la tête du lit d’Anne d’Autriche, une lettre qu’il a lue avec un sentiment de gêne et d’émotion, refoulant ses souvenirs.
Son valet Pierre de La Porte écrivait à Anne d’Autriche :
« Je donnai avis à Votre Majesté à Melun, en 1652, que le jour de la Saint-Jean, le roi dînant chez M. le cardinal me commanda de lui faire apprêter son bain sur les six heures dans la rivière, ce que je fis. Et le roi en y arrivant me parut plus triste et plus chagrin qu’à son ordinaire et comme nous le déshabillions, l’attentat qu’on venait de commettre sur sa personne parut visiblement. »
Il ne veut pas se soucier de ce qu’il a subi.
C’était il y a vingt ans.
Il est dans sa trente-quatrième année. Il est temps qu’il échappe à ces palais, à ces souvenirs, que sa gloire ne fasse pas seulement courber le dos des courtisans, et celui de son frère, prince du sang.
Il revoit Philippe, acteur, danseur, chantant près de lui sur scène, il y a dix ans :
J’étais un fort joli garçon
Et j’avais toute la façon
Qu’on voit aux royales personnes
Qui touchent de près les couronnes
Quant à force m’attacher
Au beau sexe qui m’est si cher
En m’habillant comme il s’habille
Je suis enfin devenu fille.
Louis se lève.
Il n’est pas de la race des filles mais de celle des rois.
Il aime les femmes et non les mignons, les beaux amants.
Il veut la soumission non seulement des courtisans et des sujets mais des nations impertinentes.
Car l’honneur est dû aux rois, et ils font ce qui leur plaît.
Et il veut que cette année 1672, celle de ses trente-quatre ans, soit marquée par la victoire des armes.
La guerre seule est la source de la plus grande gloire d’un roi.
44.
Il connaît l’ennemi, ces « marchands de fromages », ces « pêcheurs de harengs », ces Hollandais qui vivent en république et prétendent se gouverner eux-mêmes. Ils sont hérétiques et impriment les pamphlets, les libelles satiriques qui se moquent du roi de France. Et leurs toiles, leurs draps, les épices de leurs Indes, le blé et l’orge qu’ils achètent dans les pays des rives de la Baltique, et le charbon en Pologne, et leurs navires marchands font concurrence aux manufactures, aux compagnies de commerce, à la flotte créées par Colbert.
Et dix fois, Louis a entendu le contrôleur général des Finances répéter qu’il fallait livrer à cette république des
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