Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
Colbert :
« Je crois que vous ne serez pas fâché d’apprendre que Colmar et Sélestat ont reçu mes troupes, et qu’on commencera demain à voiturer le canon à Brisach et à les raser. »
Il veut en effet démanteler les fortifications de ces villes, punir ces populations, dont certaines, comme à Colmar, ont manifesté contre les troupes françaises.
Il faut soumettre l’Alsace et penser qu’un jour, on pourra peut-être l’annexer, agrandir le royaume jusqu’à Strasbourg.
En même temps, il pense à ce plaisir qu’il éprouvera en retrouvant ses châteaux, ceux de Versailles et de Saint-Germain, ses jardins où il veut que jaillissent de nouveaux jets d’eau.
Lorsqu’il reçoit une lettre de Colbert dressant l’état des travaux, il répond aussitôt :
« Tout ce que vous me mandez dans votre lettre de Versailles et Saint-Germain me fait plaisir. Faites bien apprêter toutes choses afin que rien ne manque surtout aux pompes quand j'arriverai. Je crois que cela ne sera pas sitôt mais il ne faut pas laisser d’y songer de bonne heure… Si la nouvelle pompe jette cent vingt pouces d’eau, cela sera admirable ! »
Il imagine les promenades dans les jardins avec Athénaïs, les bals et les feux d’artifice.
Et les intrigues aussi.
À Tournai, il a dû subir les soupirs de la reine qui s’étonnait de ne le voir rejoindre le lit conjugal qu’à l’aube. Il a répondu par le silence. Pouvait-il lui dire qu’il rendait visite à Athénaïs de Montespan dans sa chambre de la forteresse ?
Il a dû, aussi, faire face à Louise de La Vallière, annonçant une fois de plus qu’elle voulait se retirer du monde définitivement et s’enfermer dans un couvent de carmélites.
Et pourquoi pas ?
Mais elle veut organiser son départ, veiller à léguer aux uns ou aux autres et aux membres de sa famille ses biens, présenter quelques dernières requêtes, afin de favoriser l’un de ses proches. Il songe à tout cela.
À la façon dont il va vivre à Saint-Germain et bientôt, le plus tôt possible, à Versailles.
« Il faudra, écrit-il à Colbert, faire percer la porte qui va de mon petit appartement, où loge Mme de Montespan, dans la salle des gardes du grand appartement et la mettre en état qu’on y puisse passer.
« Il faudra aussi faire ouvrir la porte qui va de mon petit à mon grand appartement, qui est dans le cabinet où je vais quelquefois pendant les Conseils…»
Il veut être auréolé de la gloire des armes, exercer le gouvernement du royaume et jouir du plaisir que donnent la beauté des châteaux, les fêtes et les femmes.
Il veut tout.
47.
Il est assis seul, le buste droit, les mains posées à plat sur la table de marbre, de part et d’autre de ces feuillets que Louvois vient de lui remettre.
Louis les fait glisser du bout des doigts.
Il lit une phrase de l’une ou l’autre de ces copies de lettres.
Il doit tout connaître de ses sujets et d’abord de ceux qui, par leur rang et leur fortune, peuvent prendre la tête d’une fronde.
Chaque fois qu’il croise l’un de ces Grands qui s’inclinent devant lui, il se souvient que tel ou tel avait pris les armes contre l’armée du roi, guerroyait contre le cardinal de Mazarin et la reine Anne d’Autriche, et rêvait de mettre le roi sous tutelle.
Comment oublier cela ?
Il faut étouffer les conspirations avant qu’elles ne s’étendent. Et c’est pour cela qu’il a autorisé Louvois à faire saisir les correspondances, à briser les sceaux si nécessaire, même quand il s’agit des dépêches d’ambassadeurs.
Il sait que les hommes du secrétaire d’État à la Guerre, parfois déguisés en brigands, attaquent les voitures postales, s’emparent des sacs de courrier et, les lettres déchiffrées, recopiées, reconstituent les sceaux et expédient les missives.
Peu importe que chacun sache à la Cour que ce qu’il écrit peut être lu par les hommes du « cabinet noir » et transmis au roi. L’envie de se confier est la plus forte. Et une fois qu’on a commencé à écrire, on oublie toute prudence.
Louis lit souvent avec gourmandise les lettres d’Élisabeth-Charlotte qui, chaque jour, envoie plusieurs pages aux différents membres de sa famille.
Il a de l’affection pour cette grosse Liselotte, qui s’accommode de son époux, bien que Philippe d’Orléans soit « tout entiché du péché philosophique », entouré de mignons, adeptes comme lui du « vice italien ».
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