Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
faudrait réussir à l’extirper, et pour cela purger, saigner, faire vomir.
On lui a montré ce ténia, mais ce n’est qu’une partie du ver, la tête est encore dans le ventre, et il faut donc à nouveau purger.
Et il est ainsi toujours entre l’envie d’engloutir et celle de se vider.
Il doit livrer son corps aux médecins, aux chirurgiens.
Il faut accepter. Ne pas se rebeller contre la douleur. Elle est épreuve et punition, expression de la volonté divine.
« Mon Dieu, je me remets entre vos mains », pense-t-il, alors qu’il sent dans sa bouche la chaleur dévorante du fer rougi qui s’approche de la plaie du palais.
Il est le roi. Il ne crie pas. Il ne montre ni sa souffrance, ni son appréhension, ni sa peur.
Mais malgré lui son corps tremble et se couvre de sueur, et sa main se crispe sur celle de Mme de Maintenon.
Il subit. Il se livre. Il veut que son corps pour mieux résister à la douleur s’y abandonne sans défense. Et il veut, bien qu’il connaisse leur impuissance, faire confiance aux médecins.
La plaie du palais a cessé d’être purulente, même si elle demeure ouverte et qu’il est lui-même incommodé par la puanteur de son haleine.
Il interroge le premier de ses chirurgiens, Félix, sur cette douleur, cette brûlure, cette gêne qui griffe ses fondements.
Il écoute le chirurgien évoquer cet abcès, cette fistule, ces saignements qui rendent l’anus si douloureux.
C’est un mal qui se répand, dû sans doute à l’abus, dans les dîner et les soupers, des ragoûts et des épices, mais provoqué aussi par les longues chevauchées, et chez certains par la pratique du « vice italien ».
Il faut quelquefois se résoudre à la « grande opération » pour résorber cette fistule, cette fissure, qui révèle que « le gros boyau qui communique au fondement se trouve pourri ». M. le duc de Ludres, grand maître de l’artillerie de France, et quelques autres personnages de bonne lignée ont subi cette « grande opération ». Périlleuse, dit Félix.
Mais la douleur est là. La brûlure, l’abcès sont si incommodants que Louis ne peut plus marcher en ce début du mois de février 1686. Il faut se résoudre à garder le lit, s’agenouiller, écarter les jambes, dans cette chambre de Mme de Maintenon où se pressent les chirurgiens, les médecins, et Louvois et Seignelay, les ministres les plus importants.
— Tumeur à la cuisse, murmure l’un des médecins.
— Abcès, fistule, dit le chirurgien Félix.
Mais Félix hésite à tenter la « grande opération ».
Louis l’écoute.
Il faut accepter ce que Félix propose, avant la « grande » épreuve.
— Maintenant, Votre Majesté, dit le chirurgien.
C’est comme si, de cette boule brûlante qui ferme l’anus, irradiaient des douleurs fulgurantes, lames, rayons de feu, parcourant les jambes, se nouant autour des chevilles et perçant la nuque.
Et la brûlure se prolonge puisque le chirurgien applique sur l’abcès incisé une pierre de cautère.
La douleur est si vive, si tenace, qu’il ne peut somnoler.
Il reste immobile, ne quittant pas des yeux Françoise de Maintenon qui, près du lit, égrène son chapelet.
Il faut accepter quelques semaines plus tard une nouvelle incision et de nouvelles brûlures, alors qu’il imagine les rumeurs qui doivent infester la Cour, se répandre dans toutes les nations, parmi ces groupes d’hérétiques qui ont été accueillis dans les Provinces-Unies, à Genève, en Angleterre, dans le Brandebourg.
On doit prétendre qu’il va mourir.
Il apprend qu’à Augsbourg une ligue s’est constituée, autour de la Hollande, des princes allemands, de l’Espagne, de l’Angleterre, se préparant à recommencer la guerre, oubliant la trêve de Ratisbonne.
Il doit malgré la souffrance réunir le Conseil, dans la chambre, interroger Louvois et Seignelay, toujours rivaux, ordonner que l’on rassemble les troupes dans les forteresses des frontières, que l’on chasse des vallées vaudoises les huguenots qui s’y sont réfugiés, et qui peut-être s’apprêtent à entrer en force dans le royaume. Et que l’on menace Genève de l’invasion si la ville hérétique accueille des huguenots français.
Est-ce d’accomplir ses tâches de roi, ou bien est-ce la guérison à la suite des coups de lancette et des applications de pierre de cautère, mais il se sent mieux, alors que le printemps déjà colore les jardins du château.
Il s’y
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