Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
promène en chariot, malgré la douleur qui revient à chaque cahot. Il peut même se rendre en carrosse à Paris, où l’on a dressé place des Victoires une statue équestre pour célébrer ses victoires.
Il veut espérer que l’épreuve s’achève, qu’il va pouvoir être à nouveau le roi qui chevauche à la tête des régiments et qui chasse.
Certains jours, il oublie même qu’il a tant souffert. Il ne sent plus le poids de son corps. Il lui semble que malgré ses quarante-huit ans, il a gardé l’énergie de sa jeunesse.
Il se rend aux fêtes qu’offrent, rivalisant de magnificence, Louvois et, dans son château de Sceaux, Seignelay.
Il inaugure au côté de Mme de Maintenon cette maison de Saint-Cyr que Mansart vient d’achever, et qui accueille les deux cent cinquante jeunes filles pauvres mais de quatre quartiers de noblesse.
Il fait quelques pas dans les vastes galeries de ce bâtiment qu’il juge plus beau que tous ceux dont il a ordonné la construction, plus noble même que ce château de Marly où il espère bientôt passer quelques jours.
Il est heureux de voir ces jeunes filles s’incliner devant lui.
Il se souvient de l’inscription placée sur le piédestal de la Statue équestre de la place des Victoires : Viro immortalis .
Il est un bref instant grisé.
Ces statues, ces châteaux de Versailles et de Marly, cette maison de Saint-Cyr, et l’unité religieuse du royaume, ces annexions, ces réunions de villes et de territoires lui assurent l’immortalité.
Il doit recevoir les ambassadeurs du royaume du Siam, venus s’incliner devant lui, le plus grand des rois. Quelle preuve plus grande que sa gloire s’étende jusqu’à l’autre extrémité du monde, et qu’elle lui assure l’immortalité ?
Mais est-ce d’avoir trop présumé de ses forces ?
Mais est-ce d’avoir trop espéré, trop cru dans un regain de santé ? Tout à coup, alors que l’automne étend sa grisaille sur le labyrinthe des jardins, la douleur revient, plus aiguë, et les pierres de cautère ou les incisions, au lieu de la réduire, l’avivent.
Et la fistule ne se résorbe pas mais s’approfondit.
Il veut affronter la « grande opération », parce qu’il faut livrer la bataille et non se contenter d’escarmouches.
Il sait que les chirurgiens, et d’abord Félix, ont pour se préparer à la grande épreuve sur le corps du roi opéré des malades anonymes, et conçu des instruments appropriés.
Peut-être certains de ces patients que Louvois a fournis aux chirurgiens sont-ils morts ?
Mais la vie du roi est le bien le plus précieux du royaume.
Le 18 novembre, Louis se lève à l’aube.
Il s’agenouille auprès du lit, il prie, murmure en se redressant, en s’avançant vers les chirurgiens :
— Mon Dieu, je me remets entre vos mains.
Il regarde ceux qui l’entourent, ces chirurgiens, et le premier d’entre eux, Félix, et d’Aquin, le premier des médecins, puis Françoise de Maintenon, Monseigneur le dauphin, Louvois, le père de La Chaise, le premier valet de chambre, Bontemps, et Bessières, un des grands chirurgiens de Paris.
Il s’allonge, saisit la main de Louvois, et d’un signe de tête invite Félix à opérer.
Coup de lame, plus tranchant encore que ceux qui l’ont déjà si souvent transpercé.
Il se mord les lèvres. Il voudrait être silencieux. Mais il répète comme une plainte : « Mon Dieu ! mon Dieu ! »
Il est en sueur. Il faut que cette bataille soit victorieuse et il craint que les chirurgiens n’osent pas attaquer avec toute l’énergie nécessaire. Il doit leur en donner l’ordre.
— Est-ce fait, messieurs ? Achevez, ne me traitez pas en roi, je veux guérir comme si j’étais un paysan.
Il sent deux nouvelles incisions et les douleurs qui en naissent le déchirent.
Il répète « Mon Dieu ! mon Dieu ! » en serrant la main de Louvois.
Puis, alors que son corps frissonne, il sent que le chirurgien retire sa lancette, que la bataille est terminée. Et la douleur faiblit.
Il se repose quelques instants, puis il dit qu’il veut que l’on ouvre les portes de la chambre et que les gentilshommes du petit et du grand lever soient introduits, afin qu’ils apprennent de sa bouche que la grande opération a eu lieu et que le roi, comme à l’ordinaire, les reçoit et tiendra Conseil.
Un roi, tant que la vie ne l’a pas quitté, gouverne son royaume.
Il souffre encore, mais il peut se lever, marcher dans la chambre
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