Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
appuyé au bras de Mme de Maintenon.
Il a faim, et il peut avaler un peu de viande, avec du vin coupé d’eau.
Mais après quelques jours la douleur revient et il écoute, s’efforçant de rester impassible, le premier chirurgien lui dire que la plaie ne se cautérise pas, qu’il faudra sans doute faire de nouvelles incisions, afin d’arracher les duretés calleuses qui se sont formées de part et d’autre de la fistule.
Il doit encore accepter mais il veut, dit-il, quelle que soit la souffrance, recevoir tous ceux auxquels il doit donner audience. Il fait un signe pour que le premier chirurgien commence.
Et la douleur est si vive que son corps est à nouveau couvert de sueur cependant que le chirurgien l’assure qu’il n’y a plus rien à couper.
Il ferme les yeux.
Dieu décide. Il faut se lever, s’asseoir, répondre aux louanges de ces visiteurs sans que la voix tremble.
Il fait son métier de roi.
Et en même temps, c’est comme s’il était voué au supplice, roué, écartelé.
Et la torture dure, ne cesse qu’à l’avant-veille de Noël.
C’est tout à coup la paix dans son corps.
Il entend les musiciens de la chapelle royale qui entament un Te Deum pour remercier Dieu de la guérison du roi.
Il est ce roi qui a traversé l’épreuve et remporté la plus difficile des guerres.
Peu importe si des hérétiques, aux Provinces-Unies, dans le Brandebourg ou en Angleterre, le qualifient de « nouveau Turc des chrétiens », le condamnent, l’accusent « d’effrayer les enfants, de brûler, de dévaster, de piller, de mener des dragonnades, de faire massacrer sujets et étrangers, amis et ennemis, hommes et femmes » et considèrent que « les vapeurs qui animent le cerveau de ce roi, qui se prend pour un héros, sont descendues de l’esprit pour se manifester dans cette région du corps qu’on nomme anus, provoquant une fistule, se rassemblant là en une tumeur et laissant ainsi pour un certain temps le reste du monde en paix ».
Maintenant qu’il a vaincu la maladie, il va montrer à ses ennemis qu’il est plus que jamais Louis le Grand.
DEUXIÈME PARTIE
1687-1693
7.
Il s’agenouille sur son prie-Dieu, auprès de son lit.
Il veut, il doit remercier le Seigneur.
Ce matin, 15 mars 1687, il va pour la première fois depuis des mois monter à cheval.
Il croise les mains, il appuie son front sur ses pouces, il ferme les yeux. Il se souvient de cette douleur qui, comme une tenaille, semblait lui arracher les chairs, mordait ses chevilles et son bas-ventre.
Elle n’est plus que diffuse, et il a pu, dès les premiers jours de janvier, marcher, assister au Te Deum que dans l’église des Jacobins Lully a fait chanter.
Mais au milieu de l’office, Lully a poussé un cri, et s’est effondré après s’être blessé en frappant son pied avec sa canne, emporté par le rythme du chant qu’il conduisait.
Et il a suffi de quelques semaines pour que la gangrène dévore Lully. Peut-être Dieu a-t-il voulu punir les débauches du musicien, le condamner pour tous les jeunes gens qu’il a corrompus, et a initiés au vice italien.
Mort Lully et mort aussi le prince de Condé.
Et Louis a écouté le sermon de Bossuet, qui a plusieurs fois répété :
— C’est Dieu qui fait les rois, les guerriers et les conquérants.
L’évêque de Meaux a ajouté que la mort de Condé n’affaiblirait pas le roi, que protège « la main de Dieu, toujours prête à venir à son secours, afin qu’il soit toujours le rempart de ses États ».
Louis prie.
Il est sûr que Dieu l’a protégé, a guidé la lancette du chirurgien, et a voulu que l’épreuve s’achève, que les plaies se cautérisent, que l’on ne parle plus de fistule ou de tumeur « entre les fondements et les bourses », et qu’ainsi, il puisse à nouveau se promener dans les jardins, manger même si les mâchoires et le palais restent douloureux, et le ventre gonflé, l’obligeant à s’asseoir si souvent sur la chaise percée.
Mais ce sont là si faibles désagréments qu’il veut les oublier.
Il a pu rester debout dans l’ancienne chapelle de Versailles, où s’était rassemblée le 18 janvier toute la Cour pour le baptême des ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry, les trois fils de Monseigneur le dauphin et de Marie Anne Charlotte de Bavière.
Il a remercié Dieu de pouvoir porter sur les fonts baptismaux le duc de Bourgogne, sa descendance directe, son petit-fils.
Que
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