Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
Lauzun. Mais tout ce qu’elle a vécu n’est plus que vague souvenir.
Elle lègue ses biens à Monsieur, et il se félicite de lui avoir autrefois arraché de belles propriétés pour le duc du Maine.
Tout cela lui semble vain, alors qu’on célèbre ces funérailles de la Grande Mademoiselle.
Tout à coup, une explosion suivie d’une puanteur écœurante envahit l’église. L’assistance s’affole, s’enfuit, cependant qu’il ne bouge pas. Les dames, peu à peu, reviennent dans l’église, où l’on répand du parfum. Les médecins expliquent que l’urne contenant les entrailles de la Grande Mademoiselle a explosé, parce que les viscères ont été mal vidés, mal embaumés, et que la putréfaction a fait son office, libérant des gaz.
Voilà ce que devient la vie d’une duchesse.
Le roi est resté à sa place, respirant cette odeur de mort qu’il sait déjà reconnaître.
La Grande Mademoiselle avait soixante-trois ans. Il en a cinquante-cinq.
Combien d’années encore Dieu décidera-t-il de le laisser vivre ?
Il le prie. Il le sert. Il finit tous les soirs la journée par le salut : Dieu est partout et honoré partout.
Il veut que l’on sache que la guerre qu’il mène est au service de Dieu, qu’elle a pour but de conduire à la paix.
Il veut qu’on dise, comme le fait Thomas Corneille dans le livret de l’opéra Médée , dont la première a lieu à Versailles, le 4 décembre 1693 : « Louis est triomphant, tout cède à sa puissance. »
Mais il préfère la conclusion qui condamne les ennemis :
Ils ne cherchent à triompher
Qu’afin de prolonger la guerre
Louis combat pour l’étouffer
Et rendre calme la terre.
L’Église le sait, l’Église le proclame, et Dieu le sait donc.
Il assiste dans la chapelle de Versailles, en cette fin d’année 1693, à la célébration de l’avent.
— Je dois, dit dans son prêche le père Bourdaloue, bénir le ciel quand je vois, Sire, dans votre personne, un roi conquérant et le plus conquérant des rois…
« Je dois, en présence de cet auditoire chrétien, poursuit Bourdaloue, rendre à Dieu de solennelles actions de grâces, quand je vois dans Votre Majesté un monarque victorieux et invincible dont tout le zèle est de pacifier l’Europe et qui par là est sur la terre l’image visible de Celui dont le caractère est d’être tout ensemble, selon l’Écriture, le Dieu des armées, et le Dieu de la paix. »
TROISIÈME PARTIE
1694-1700
14.
Louis serre les accoudoirs de son fauteuil si fort qu’il éprouve une vive douleur dans les avant-bras et que ses ongles s’enfoncent dans le tissu rouge du siège.
Il ne peut détacher ses yeux de cette lettre posée devant lui sur la table. Elle comporte plusieurs pages qu’il a parcourues, et il a l’impression que chaque mot était une flamme qui lui brûlait les joues.
Il s’est tourné vers Mme de Maintenon.
Elle a balbutié qu’elle ne connaissait pas l’auteur de cette lettre qu’on a remise pour le roi, mais qui n’est pas signée.
Il a cru d’abord qu’il s’agissait de l’un de ces pamphlets, comme il en reçoit tant, qu’on imprime à Amsterdam ou à La Haye, et que les librairies reproduisent dans le royaume. Et parfois ils sont d’abord imprimés en France et contrefaits dans les Provinces-Unies.
Le dernier qu’il a lu exprimait les plaintes des gentilshommes.
« On n’a plus d’égard au rang qu’ils ont toujours tenu dans la monarchie », écrivait-on avant d’ajouter qu’on les faisait « s’épuiser à la guerre et que leurs services étaient mal récompensés », que les intendants et les financiers « n’avaient que la ruine des gentilshommes pour objet ».
Il y avait aussi ces ouvrages vantant la réussite des Hollandais, ou des Anglais, qui avaient créé des banques et qui avaient compris que « la richesse d’un royaume consiste en son terroir et en son commerce » et non dans les conquêtes de territoires.
Vauban lui-même s’était mis de la partie, écrivant un Projet de capitation , un nouvel impôt par tête. Vauban s’en prenait aux impôts injustes mal répartis, trop lourds. Il avait justifié son ouvrage en notant : « La pauvreté ayant souvent excité ma compassion m’a donné lieu d’en rechercher la cause. »
Ces textes l’ont irrité.
On ose faire la leçon au roi, comme s’il ne connaissait pas les maux du royaume, et ne cherchait pas les remèdes pour l’en
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