Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
dans les provinces les plus touchées par les intempéries, le gel, le pourrissement des blés par les pluies, des distributions de grain.
Mais comment les payer ? Comment approvisionner les villes où les pauvres sont affamés ?
Il apprend qu’à Paris, place Maubert, des soldats des gardes-françaises ont pillé les boulangeries.
Il faut sévir.
Un roi, quel que soit l’état de son royaume, ne peut accepter que le désordre s’y installe.
Pour l’exemple, on doit punir ces soldats pillards.
Et pourtant, ce sont des gardes-françaises qui, quelques jours plus tard, à Steinkerque, alors que l’armée royale est bien inférieure en nombre aux troupes de Guillaume d’Orange, remportent la victoire.
Le maréchal de Luxembourg a culbuté les compagnies de Guillaume III, qui ont laissé douze mille morts sur le champ de bataille.
Louis est fier d’apprendre que le duc de Chartres a chargé, l’épée à la main, et que, blessé au bras, il a continué de conduire l’assaut. Et les jeunes nobles ont fait preuve d’une égale bravoure, se lançant dans la bataille sans même avoir le temps de nouer leurs cravates de dentelle, qu’ils se contentent d’enrouler autour de leur cou.
Et il voit que toutes les dames de la Cour les imitent, adoptant cette mode des « cravates à la Steinkerque ».
Il a le sentiment que tout le royaume est rassemblé autour de son roi.
Il donne l’ordre qu’on expose dans le chœur de la chapelle du château les drapeaux pris à l’ennemi.
C’est la cause de Dieu que le roi de France défend.
13.
Il est debout devant l’une des fenêtres de la chambre de Mme de Maintenon.
Il regarde le ciel.
La pluie vient de cesser mais, au-delà de l’Orangerie, vers la forêt, en direction de Marly, l’averse comme un rideau épais ferme encore l’horizon. Les nuages sont si bas qu’ils enveloppent la cime des arbres. Et c’est ainsi depuis des mois. Quand le soleil paraît pour à peine quelques heures, après des jours de pénombre, il semble affaibli et presque éteint.
Dieu veut-il punir le royaume de France, en le privant de ses moissons ?
Louis a lu les rapports des intendants qui évoquent des dizaines, des centaines de milliers de victimes de la faim et des épidémies. Car les paysans affamés mangent ce qu’ils trouvent, des entrailles de bestiaux que les bouchers viennent d’abattre. Ils font leur pain avec du son, de la terre, des déchets de toute sorte.
Combien de morts ? Deux millions ?
Louis se tourne.
Il va, en boitant, vers la cheminée. Ses douleurs sont plus vives, comme si le froid et l’humidité qui imprègnent les tissus et les murs désagrégeaient ses os. Il a mal jusqu’au bout de ses doigts, qui se recroquevillent comme des branches rabougries.
Il croise le regard de Françoise de Maintenon, qui comme à son habitude brode. Il devine son inquiétude.
Le lieutenant général de police, La Reynie, a laissé sur la table le rapport qu’il a commenté.
Les grands fours à pain que l’on a installés dans la cour du Louvre ne suffisent plus, a-t-il dit. Les pauvres par milliers se pressent chaque jour, de l’aube à la nuit, pour obtenir, à prix réduit, une miche. On se bouscule, on s’invective, on se bat. La distribution a lieu au Louvre, mais aussi aux Tuileries, à la Bastille, au Luxembourg, dans la rue d’Enfer. Les curés tentent de calmer les impatiences. Ils ont organisé plusieurs processions, pour demander à Dieu la clémence, le retour du beau temps, la fin de cet hiver qui envahit toutes les saisons, et ce, depuis près d’une année déjà.
La voix de La Reynie tremblait. Il a ajouté :
— Tous les marchés ont été aujourd’hui si difficiles qu’il est, ce me semble, impossible d’empêcher qu’il n’arrive quelque grand désordre, si les choses subsistent encore un peu de temps sur le même pied ; car le concours et l’état du peuple qui paraît dans tous les marchés sont tels qu’il n’est plus au pouvoir des officiers et de tous ceux qui concourent à maintenir la sûreté de répondre qu’elle ne sera point troublée.
Il s’est tu longuement, puis, détachant chaque mot, il a repris : « La multitude renouvelle ses menaces, et on y entend dire sans qu’il soit possible d’y remédier qu’il faut aller piller et saccager les riches. »
Louis n’a pas commenté. Un roi doit souvent rester silencieux et demeurer impassible.
Mais il sait que les mêmes
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