Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
prisonnier de son fauteuil.
C’est comme s’il était à la merci de ces lettres, de ces écrits, qui chaque jour se renouvellent.
On le critique, mais on l’insulte aussi.
Il est outragé quand paraît cet ouvrage, L’Ombre de M. Scarron , qui révèle son mariage avec Mme de Maintenon et la rend responsable de la guerre qui accable le royaume et dont on ne voit plus la fin.
Il ordonne qu’on se saisisse de l’imprimeur, du libraire, qu’on les livre aux bourreaux afin qu’on les torture et les pende en place de Grève !
Mais il sait bien que le danger pour l’État ne peut venir de ces médiocres pamphlétaires.
Il reprend la lettre anonyme. Voilà une autre encre ! Un autre style ! Ceux d’un Grand, capable d’animer une conjuration, un frondeur de haute lignée qui a l’audace d’écrire, revenant précisément au temps et au ton de la Fronde :
« Vous êtes né, Sire, avec un cœur droit et équitable, mais ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de gouverner que la défiance, la jalousie, l’éloignement de la vertu, la crainte de tout mérite éclatant, le goût des hommes souples et rampants, la hauteur et l’attention à votre seul intérêt. Depuis environ trente ans, vos principaux ministres ont ébranlé et renversé toutes les anciennes maximes de l’État. […] On n’a plus parlé que du roi et de son plaisir…» Et cette autre phrase qui lui tord le ventre :
« En voilà assez, Sire, pour reconnaître que vous avez passé votre vie entière hors du chemin de la vérité et de la justice, et par conséquent hors de celui de l’Évangile. »
Celui qui écrit ainsi n’est pas le modeste prêtre qu’il prétend être, mais un Grand, qui veut l’atteindre au cœur en contestant tout ce qu’il a fait depuis qu’il gouverne, et en niant qu’il ait été comme l’avait dit le père Bourdaloue en chaire « sur la terre l’image visible de celui qui est le Dieu des armées et le Dieu de la paix ».
Il interroge à nouveau Mme de Maintenon, il la devine, anxieuse, affolée même.
L’auteur est peut-être ce François de Salignac de La Mothe Fénelon, dont Françoise de Maintenon s’est entichée, qu’elle a introduit auprès des pensionnaires de Saint-Cyr, recommandé à Bossuet.
Il s’en veut d’avoir désigné ce Fénelon comme précepteur du duc de Bourgogne, son premier petit-fils, l’héritier de France.
Il a le sentiment que, de manière insidieuse, on l’a trompé, qu’on s’est servi de Françoise de Maintenon, séduite par cet « amour pur » que vantait Mme Guyon, l’amie de Fénelon.
Et cette bonne dame, à la poitrine généreuse, aux émois mystiques, a même su tromper la vigilance de Bossuet. Et voici ce Fénelon archevêque de Cambrai et maître à penser des pensionnaires de la maison de Saint-Cyr.
Louis s’emporte, s’indigne. Et même s’il ne peut être sûr que Fénelon soit l’auteur de cette lettre anonyme, qui reprend toutes les accusations des ennemis du royaume, ceux d’Amsterdam, de Londres, de Bruxelles, de Genève, de Heidelberg ou de Berlin, il veut sévir, faire condamner les écrits de Mme Guyon comme hérétiques, et il décide qu’elle sera emprisonnée à Vincennes.
Quant à Fénelon, archevêque de Cambrai, et de ce fait duc et prince de l’Empire, il n’est pas possible de le poursuivre, mais il doit rester sous surveillance. Et il faut briser l’influence que son esprit frondeur et hostile exerce sur le duc de Bourgogne.
Le roi doit veiller sur ceux qui lui succéderont.
Mais qui seront-ils ?
Il lui semble que la mort rôde, qu’elle a déjà posé ses griffes sur les corps. Monsieur son frère, son cadet d’un an à peine, avec son ventre rebondi, son nez allongé, semble hanté par l’idée qu’il doit se dépêcher de jouir pour prendre la mort de vitesse.
Monsieur ne le dissimule pas.
Louis l’écoute dire d’une voix provocante que la fin de la fête approche, qu’il ne doit rien épargner, que ceux qui lui survivront se débrouilleront comme ils pourront. Il le voit perdre des sommes considérables aux tables de jeu, s’entourer de nouveaux mignons, plus beaux et plus jeunes, apparaître toujours dans des vêtements extravagants.
Louis s’approche de la princesse Palatine qui regarde Monsieur son époux se conduire comme une femme parée de dentelles et de colliers.
Elle aussi, visage grêlée, n’est plus qu’une vieille grosse qui dit
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